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retenir les eaux s’étaient ouvertes pendant ce temps-là sous l’action de leviers qui échappent aux regards des curieux. Il fallut attendre un instant que le niveau fût à peu près rétabli entre les bassins du dock et l’étroit canal qui débouche sur la Tamise. C’est alors que deux remorqueurs, tugs, petits, mais forts et agiles comme des anguilles électriques, vinrent se placer successivement en tête des deux steamers, qu’ils entraînèrent avec une singulière vigueur vers le fleuve. Ainsi que des géans qui retrouvent leurs forces engourdies, le Laurent et la Medore parurent se réveiller au mouvement des grandes eaux. On les vit alors exécuter quelques manœuvres, puis s’éloigner à l’horizon, tandis qu’un groupe de personnes qui les suivaient encore des yeux agitaient à terre leurs mouchoirs blancs en forme de dernier salut.

Les docks de Londres, de Sainte-Catherine et de Victoria ont été dernièrement réunis dans la même compagnie. C’est la plus grande entreprise de ce genre qui existe au monde[1]. Son fonds social a été formé par des actions, et elle est gouvernée par une cour de directeurs, court of directors, qui, étant pour la plupart des marchands, ont eux-mêmes un intérêt à réduire autant que possible le droit des docks sur les marchandises importées ou exportées. Toutefois, du 1er janvier au 30 juin 1866, le bénéfice net a été de 178,920 livres sterling (4,473,225 francs). Les bureaux de l’administration occupent dans Leadenhall-street un des plus beaux édifices dont puisse se glorifier la ville de Londres. Nul ne saurait méconnaître les services que la création des docks a rendus au commerce anglais. Défendus par des murs et soumis à une active surveillance, ils ont soustrait les marchandises à un système de pillage, accéléré le chargement et le déchargement des cargaisons, facilité la classification et l’écoulement des produits. On leur doit surtout cet avantage, qu’ils ont resserré le lien des affaires en concentrant dans le même milieu la navigation, les chemins de fer et les télégraphes électriques.

De six mois en six mois, les Anglais constatent avec une sorte de ravissement l’augmentation de plus en plus rapide de leur revenu. Certes, parmi les causes qui contribuent à cette incroyable prospérité, il en est dont nos voisins ont tout lieu de se montrer fiers : leurs libres institutions, la participation efficace de la classe moyenne aux affaires de l’état, l’étendue et l’indépendance de la marine marchande, habituée à ne compter que sur elle-même. Cet accroissement de la fortune publique est sans aucun doute un signe

  1. Au mois de juin 1866, cette compagnie portait son actif à la somme énorme de 9,252,549 livres sterling (231,313,725 fr.)