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compromettant par les bravades qu’il croit devoir à l’honneur de son nom, capable d’une témérité, mais non d’une haute résolution, il parait comme égaré parmi les protestans. Cependant cette élégance et cette bravoure, cet héroïsme joint à cette étourderie, en feraient un personnage intéressant, si M. Bouilhet avait su fondre ces traits disparates. Il n’a su que recommencer une fois de plus la vieille fiction cornélienne de la vertu princière, composée de jactance et de faiblesse. Condé a beau se redresser, mettre la main sur la hanche, enfler son langage lorsqu’il défie ses adversaires de le convaincre de complot ; il nous touche peu, car il ment, et nous ne pouvons nous défendre de pitié pour ce capitaine muet qui s’est réduit follement à désavouer ses amis et qu’on force d’assister frémissant à leur agonie. L’amoureux en lui n’est guère plus chevaleresque que le chef de parti. Trop prompt à accuser sans preuve celle qu’il aime de la plus odieuse trahison, non moins prompt à se laisser convaincre de son innocence, il a tour à tour dans son langage des fadeurs à la Dorat et les désespoirs ténébreux d’un Didier ou d’un Antony. Cette jeune femme, la comtesse de Brisson, est le personnage le plus gracieux et le plus touchant de la pièce ; mais nous la connaissons depuis longtemps : c’est la sœur jumelle de Mme de Montarcy, pure et tendre comme elle, dévouée comme elle, comme elle aussi victime de son dévouement et en butte à d’injustes soupçons. M. Bouilhet s’est vraiment montré bien cruel pour cette pauvre femme en la tuant sans raison et sans nécessité ; mais il fallait bien une mort au dénoûment. Il n’y a rien à dire des autres caractères : celui de François de Guise n’existe pas. Le petit roi François II, jouet de tout ce qui l’entoure, larve impuissante qui se débat vainement entre l’hallucination et la terreur, en proie à cette dévorante sirène, Marie Stuart, placée à côté de lui pour le conduire où l’on veut, nous est montré dans une scène qui ne serait pas sans effet, s’il ne nous faisait douter de ses misères à force de les décrire avec trop d’éloquence.

Pendant cette représentation, tandis que nous suivions avec une curiosité attristée les efforts avortés d’un écrivain de bonne volonté, auquel on ne refusera pas le mérite assez rare d’exprimer noblement des idées élevées et des sentimens honnêtes, nous nous demandions s’il n’y avait pas quelque fibre brisée ou relâchée dans cette génération littéraire. A voir l’imagination énervée fléchir dès qu’elle veut ranimer les caractères d’une époque vivante et passionnée, à la voir simuler faiblement le dehors des passions sans les ressentir, et se perdre bien vite dans les molles fantaisies du style, qui sont aujourd’hui son refuge habituel, comment ne pas faire un retour sur la dureté des temps et sur la condition faite de nos jours à l’esprit ? L’imagination ne vit pas, comme on dit, de l’air du temps ; elle s’alimente des sentimens, des croyances, des énergies morales qui sont dans les cœurs. Et que devient tout cela quand des causes si nombreuses concourent à déshabituer l’esprit littéraire des plus hauts et des plus réels intérêts ? L’imagination peut se développer, originale et créatrice, jusque sous le