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peler cette promesse du traité de Prague ; mais, tant que cette promesse n’est point exécutée, la France peut-elle recevoir le remercîment que le souverain danois lui adresse ? La restitution du nord-Slesvig est une question vitale pour le Danemark. Si l’on permet à la cour de Berlin d’éluder un engagement aussi positif, la force des choses amènera l’occupation du Jutland par la Prusse, et le noble et libre petit peuple danois aura perdu l’indépendance et l’existence. Les Danois du Slesvig n’attendent pas avec une moindre impatience que le Danemark la réparation qui leur a été promise à Prague. L’ajournement prolongé de cet engagement n’a d’autre cause que le mauvais vouloir du cabinet prussien. Plus de la moitié des habitans du Slesvig, 300,000 âmes au moins, sont Danois de langue et de race. Tous les souvenirs historiques, toutes les sympathies d’une riche littérature populaire les attirent vers le Danemark. Séparés violemment de la patrie de leur esprit et de leur cœur, ils perdent toute existence nationale, et disparaissent douloureusement sous une domination étrangère. Les Allemands eux-mêmes reconnaissent que le nord du Slesvig est danois.

Les Danois du Slesvig se sont hâtés de réclamer l’exécution du traité de Prague pour ce qui les concerne. Quarante-sept notables venus de toutes les parties danoises du Slesvig se réunirent à Berlin à la fin du mois d’août pour présenter une adresse au roi de Prusse. Les signataires de l’adresse suppliaient le roi d’accomplir leurs vœux les plus chers. Ils déclaraient que le développement de leurs intérêts dans l’ordre moral et dans l’ordre matériel ne pouvait s’accomplir librement et naturellement que s’il leur était donné de se réunir au Danemark, dont leur race avait fait partie depuis les temps les plus reculés, et auquel les unissait étroitement la communauté des souvenirs de l’histoire et des institutions. C’était, déclaraient-ils, leur conviction qu’ils cesseraient d’exister comme nationalité, s’ils étaient annexés à un état avec lequel ils n’avaient aucun lien commun. Remerciant le roi de Prusse de la magnanimité avec laquelle il avait consenti à les rendre au pays qu’ils pouvaient seuls appeler leur patrie, ils exprimaient l’espoir qu’on donnerait au vote du Slesvig une telle étendue que tous ceux qui désireraient la réunion au Danemark pussent s’exprimer librement et décider eux-mêmes de leur sort. Nous avons reproduit exactement les termes de cette curieuse supplique ; l’humilité de ces honnêtes citoyens d’un petit pays à qui le charlatanisme despotique a promis l’autorité oraculaire du suffrage et l’arrêt souverain du plébiscite serait plaisante, si l’accent d’hommes qui redemandent leur patrie ne conservait pas, à travers toutes les fictions et les modes du langage politique, une vibration émouvante. Les bons Slesvigois, qui s’étaient mis en route dès le mois d’août, attendent encore une réponse du gouvernement prussien. Ils ont voulu ajouter à leur adresse les adhésions signées de leurs concitoyens. Malgré les obstacles de toute sorte opposés par les autorités prussiennes à l’expression légitime d’un vœu que l’on s’est engagé par traité à respecter, vingt mille signatures ont été recueillies en faveur de l’adresse. Cependant