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c’est-à-dire absolument irréductibles à des conditions définies, inexplicables par les propriétés et les lois déjà connues de la réalité matérielle. Cela ne voudrait pas dire qu’ils n’existent pas, que les êtres auxquels ils sont censés appartenir soient de pures chimères. Cela signifierait simplement qu’ils sont hors des prises de l’expérimentation. Cela conclurait non point contre leur existence, mais seulement contre la possibilité de les soumettre à nos instrumens de précision, la balance et le calcul. Nous nous en doutions déjà. Nous savions, que, si les causes dont s’occupe la métaphysique, ne sont pas des illusions, elles ne sont pas pourtant de telle nature qu’elles puissent être déterminées avec une rigueur, avec une certitude mathématique. Nous savions que, si ces forces existent, elles sont tout autre chose que des mouvemens matériels liés par des rapports mutuels entre eux, de telle sorte qu’un de ces mouvemens en détermine géométriquement une suite d’autres. Nous savions que, s’il y a des lois dans cette sphère supérieure, ces lois ne sont pas cependant de telle nature qu’elles puissent être définies dans une formule rigoureuse, exprimant le rapport numérique de l’effet à sa cause. En d’autres termes, il ne nous a jamais échappé, quelque ami que l’on puisse être de la philosophie, qu’elle ne saurait prétendre au même genre et au même degré de certitude que les sciences physiques et chimiques, qu’elle n’est pas et qu’elle ne peut pas être une science positive, une science exacte, que la nature des problèmes dont elle s’occupe lui interdit ce caractère, qu’aucun effort de rigueur croissante ne pourra jamais la ramener sous le niveau mathématique du déterminisme absolu. En vérité, rien de tout cela n’est nouveau pour nous ; mais la question reste aujourd’hui ce qu’elle était hier : l’école expérimentale la laisse absolument dans les mêmes termes où elle a été déjà mille fois posée. N’y a-t-il de science possible que les sciences positives ? Ce qui revient à cette autre question : n’y a-t-il de réalité possible que celle qu’atteignent nos instrumens matériels, aidés du calcul et dirigés par la puissance de l’esprit ? Mais cet esprit lui-même qu’est-il donc, sinon une de ces réalités indéterminées ? Et ce n’est pas l’école expérimentale qui refusera de l’admettre au rang des existences les plus avérées, elle qui a décrit avec une si merveilleuse précision les féconds emplois de son activité spontanée dans la méthode des sciences positives, sous la forme de l’idée à priori, directrice de l’expérience, révélatrice des grandes lois de la nature.