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M. Villemain et dans son Histoire des connaissances chimiques[1], a développé des vues neuves et fines sur la philosophie des sciences expérimentales. Une critique sévère pourrait s’exercer sans trop de peine sur ce dernier ouvrage, dont le plan et le sujet offrent tout d’abord à l’esprit une étrange complication. C’est moins en effet d’un objet spécial qu’il est traité dans ce premier volume de l’histoire annoncée que de l’ensemble de toutes les sciences qui appartiennent à l’immense domaine de la philosophie naturelle, de leurs rapports mutuels et de la méthode qui seule est capable d’imprimer le caractère scientifique à la réunion de leurs matériaux. L’esprit du lecteur se perd dans l’immensité du sujet et dans la subdivision des détails à l’infini. On est tenté parfois de sourire de la longueur de certains titres qui veulent être trop complets, et des rapports inattendus que l’auteur imagine entre la chimie et les branches les plus éloignées du savoir humain. Il ne faudrait pas cependant, sur de si minces motifs, parler à la légère de ce livre, qui résume un si grand nombre d’observations et de considérations dignes du plus sérieux intérêt, une vie dévouée à la pensée et devenue inséparable de l’histoire de la science du XIXe siècle par l’importance des découvertes qu’elle nous a values. Il faut que notre frivolité littéraire s’incline devant des titres si considérables, et qu’elle nous permette de faire notre profit de ce trésor d’expérience scientifique amassé lentement pendant quatre-vingts ans de méditation. Or, dans le premier chapitre de ce livre où l’auteur nous expose les principes de la philosophie expérimentale, je remarque comme il s’attache à mettre en valeur et en lumière la spontanéité de l’esprit[2]. Voilà deux grands témoignages : l’un qui nous vient d’une haute autorité dans les sciences physico-chimiques, l’autre que nous apporte un maître éprouvé dans les sciences biologiques et spécialement dans la physiologie ; tous deux nous confirment dans cette conviction que la nature serait à nos yeux comme une lettre morte, si l’esprit, par son activité propre, n’en interprétait les muets symboles. La science a besoin des matériaux que lui livre la réalité ; mais c’est l’esprit qui fait la science. Elle n’existerait pas sans l’étude expérimentale de la réalité ; mais elle n’existerait pas davantage, si l’esprit ne venait lui donner sa signification, son sens, éclairer, si je puis dire, de sa propre lumière projetée au dehors l’obscur tableau des choses.

  1. Lettres adressées à M. Villemain sur la méthode en général et sur la définition du mot FAIT. 1856. — Histoire des connaissances chimiques, t.1er, 1866.
  2. J’indiquerai surtout les considérations très importantes sur le rôle de l’abstraction dans la perception des propriétés et des faits, et sur la part du raisonnement et de l’hypothèse dans la méthode à posteriori expérimentale. — Histoire des connaissances chimiques, t. Ier, p. 15,16, 28, 29, etc.