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pas blâmer dans M. Claude Bernard l’usage qu’il a fait de son indépendance ; bien au contraire, je le constate pour y applaudir, et je me félicite que le premier physiologiste de notre temps, n’ait pas voulu asservir sa pensée à la jalouse orthodoxie d’une, école qui ne passe pas généralement pour offrir beaucoup de liberté à ses disciples, ni beaucoup de chances de conciliation, à ses adversaires,


II.

Il ne faudrait pas abuser de cette expression, idée à priori, pour attribuer à M. C. Bernard tout un système qu’il, ne peut pas avoir, lui l’ennemi des systèmes, sur l’origine des idées, et pour le transformer en un partisan inattendu de l’innéité. Ce serait mal le comprendre et profiter indûment d’une sorte de trahison des mots, pour prendre contre sa vraie pensée, au profit de la métaphysique, des avantages qu’il ne voudrait sans doute pas lui accorder. Lui-même a soin de nous dire en termes exprès que ces idées à priori (qu’il appelle expérimentales parce qu’elles sont d’un emploi perpétuel dans la méthode des sciences positives) ne sont pas, à proprement parler, innées en ce sens qu’elles ne surgissent pas spontanément, qu’il leur faut pour naître une occasion, qu’un excitant extérieur ; mais ce qui nous importe plus que l’innéité de ces idées, c’est l’innéité de la faculté qui les produit, c’est l’éclatante constatation par l’habile et savant expérimentateur de la vigueur naturelle de l’esprit humain, de sa vertu inventive, de ses virtualités, c’est sa rupture manifeste sur ce point avec l’empirisme, qui ne veut rien admettre en dehors et au-dessus de l’expérience pure, qui ne peut consentir à aucun prix que l’esprit humain, par sa propre et intime énergie, par sa raison, dirige, règle l’expérience elle-même et constitue la science. La logique de l’empirisme se défie de cette intervention de quelque à priori dans l’expérience, que l’à priori soit l’idée ou la raison. Elle redoute les usurpations de cet hôte suspect, qui, une fois introduit dans la place, pourrait bien en devenir le maître. Les faits, rien que les faits analysés et coordonnés, cela suffit, et tout le reste est de trop. La logique de l’école expérimentale est plus large et philosophique, bien qu’elle ne se pique pas de philosophe.

Ne craignons pas de mettre dans tout son jour, d’après M. Claude Bernard, le rôle de l’idée à priori dans la méthode expérimentale. Aussi bien quelle occasion meilleure pouvons-nous trouver de voir cette méthode en acte, analysée dans un de ses procédés les plus intimes, dans un de ses ressorts les plus délicats, dans une de ses opérations les plus fécondes, par un savant qui a su s’en servir avec tant de bonheur et lui faire produire de si admirables résultats ? Ce