Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprit, dit-il, nous porte à chercher l’essence ou le pourquoi des choses. En cela, nous visons plus loin que le but qu’il nous est donné d’atteindre, car l’expérience nous apprend bientôt que nous ne pouvons pas aller au-delà du comment, c’est-à-dire de la cause prochaine ou des conditions d’existence des phénomènes. Sous ce rapport, les limites de notre connaissance sont dans les sciences biologiques les mêmes que dans les sciences physico-chimique[1]. » Puis, développant sa pensée, l’auteur nous montre avec la dernière clarté que, dans tous les ordres de la science expérimentale, quand nous avons trouvé la cause prochaine d’un phénomène en déterminant les conditions et les circonstances simples dans lesquelles il se manifeste, nous avons atteint le but scientifique que nous ne pouvons dépasser. Quand nous savons que l’eau et toutes ses propriétés résultent de la combinaison de l’oxygène et de l’hydrogène dans certaines proportions, nous savons tout ce que nous pouvons savoir à ce sujet, et cela répond au comment, non au pourquoi des choses. Nous savons comment on peut faire de l’eau ; mais pourquoi la combinaison d’un volume d’oxygène et de deux volumes d’hydrogène forme-t-elle de l’eau ? Nous n’en savons rien. De même en physiologie, si on prouve que l’oxyde de carbone tue en s’unissant plus énergiquement que l’oxygène à la matière du globule du sang, nous savons tout ce que nous pouvons savoir sur la cause de la mort. Pourquoi l’oxyde de carbone a-t-il plus d’affinité pour le globule du sang que l’oxygène ? Pourquoi l’entrée de l’oxygène est-elle nécessaire à la vie ? C’est là la limite de notre connaissance, et en supposant même que nous parvenions à pousser plus loin l’analyse expérimentale, nous arrivons à une cause sourde à laquelle nous serons obligés de nous arrêter sans avoir la raison première des choses[2]. — Tout cela est très vrai, de tout point incontestable. La science expérimentale peut remonter de quelques anneaux la chaîne des phénomènes. Elle ne peut pas sortir de la série des causes secondes et des effets, de la liaison nécessaire des antécédens et dess conséquens. Son effort n’aboutira jamais qu’à reculer de quelques degrés la limite supérieure de notre ignorance ; mais cet effort est assez beau déjà, et rien ne prouve mieux la grandeur de la pensée que la conquête de ces vérités relatives et partielles sur l’immense inconnu que lui offre le monde ouvert devant nous.

Nous pouvons également souscrire, sans aucun scrupule métaphysique, aux raisons que nous donne M. Claude Bernard pour nous faire comprendre pourquoi la nature ou l’essence même de

  1. Introduction à la Médecine expérimentale, p. 137.
  2. Ibid., p. 139.