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Je n’entreprendrai pas en ce moment de relever la métaphysique de cette condamnation sommaire. Je me propose uniquement, à l’occasion de quelques ouvrages récens, de rechercher s’il est vrai que le divorce soit à jamais accompli entre l’esprit philosophique et l’esprit scientifique, s’il n’y a pas quelque conciliation possible à espérer entre ces deux ordres de connaissances et ceux qui les représentent, si, en faisant de justes concessions à l’école expérimentale (qu’il ne faut pas confondre avec l’école positiviste, nous dirons tout à l’heure pourquoi), on n’arriverait pas à désarmer bien des défiances et des susceptibilités légitimes. Quant à ce parti déjà nombreux qui s’est détaché de l’école expérimentale pour arborer le drapeau du matérialisme et dont nous comptons examiner dans un prochain article quelques manifestes récens, il nous sera permis dès aujourd’hui de protester contre la confusion qu’il prétend créer dans les esprits entre sa doctrine et les sciences positives ; il nous sera permis de nous étonner que ceux qui se portent les adversaires les plus irréconciliables de la métaphysique en viennent si tôt, par une sorte de contradiction significative, à rétablir les causes premières sous d’autres formes et d’autres noms. Peut-être serait-il sage d’en conclure que, si la métaphysique est un mal, c’est un mal nécessaire avec lequel il faut vivre ; mais peut-être serait-il plus sage encore d’en induire que la nécessité qui la ramène à travers tant d’obstacles et de détours dans des écoles scientifiques dont le premier axiome est de la proscrire, c’est au fond une loi de l’esprit humain, la loi la plus intime de son essence, qui le porte irrésistiblement à se mettre d’accord non pas seulement avec la réalité et ses phénomènes, mais avec le principe mystérieux de cette réalité, dernier terme auquel sont suspendues la nature et la pensée.


I

Il faut bien se garder de confondre l’école expérimentale avec l’école positiviste. Il y a quelque chose de commun entre ces deux écoles, comme nous le montrerons aisément, mais par beaucoup de traits essentiels elles diffèrent. C’est ce que je voudrais établir avec quelque clarté dans les pages qui suivent. Le résultat de cette discussion n’est pas médiocre. Il s’agit du sort même et de l’avenir de la métaphysique ; il s’agit de savoir si elle peut vivre, si elle doit vivre, dans une paix honorable, sous la condition de ménagemens réciproques, à côté des sciences de la nature, ou si elle doit être supprimée par elles.

Nous n’aurons garde de refaire incidemment l’exposition ou la critique du positivisme. Ici même il a été l’objet de travaux