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d’âmes en 1812, 413 en 1841 et 530 en 1852. Ce dernier chiffre accuse une densité de 1,578 habitans par 1,000 hectares ; la France n’en a que 688 pour la même superficie. Aussi peut-on affirmer en tout état de choses que jusqu’à ce jour aucune grande nation n’est parvenue à faire vivre autant d’hommes que la Chine par rapport à l’étendue de son territoire. En signalant hautement ce beau résultat, grâce auquel deux centièmes seulement des terres du globe sont fécondés si puissamment qu’ils suffisent à nourrir deux cinquièmes du genre humain, l’auteur des Forces productives des nations ne craint pas de proposer la Chine pour le premier prix d’industrie agricole aux expositions universelles, encore qu’elle n’y ait obtenu jusqu’ici que des accessits de charité ou de dédaigneuses mentions honorables. L’idée est noble et juste, surtout quand l’écrivain ajoute que ce qu’il admire le plus dans l’agriculture chinoise, c’est l’homme avec son activité, sa force d’âme, la vaillante sérénité qui le rend capable de tout exécuter, comme de tout endurer. Je ne crois pas que l’économie rurale présente d’exemple comparable à l’existence miraculeuse de certaines familles chinoises : on en cite qui, composées de dix-sept personnes, ont trouvé leur subsistance sur une surface de 1 hectare seulement, sans ressource extérieure, et sans autre industrie que la fabrication de quelques étoffes de coton. Que de cultivateurs européens mourraient de faim dans de semblables conditions !

On conçoit qu’avec une pareille exubérance de population la tentation soit forte pour les habitans du littoral d’aller chercher fortune sous un ciel étranger. Ce qui distingue essentiellement cette émigration de toutes les autres, c’est d’abord l’absence de femmes et en même temps le renouvellement perpétuel des élémens qui la composent ; leur va-et-vient incessant entre la Chine et les pays de destination. Il serait puéril, avec l’énorme disproportion existant entre l’ensemble des émigrans et la population de la mère-patrie, devoir dans cet exode, si permanent qu’il soit, une saignée dont les bons effets puissent se faire sentir de si tôt. D’autre part, quelles que soient les qualités de ce peuple que nous avons essayé de défendre contre d’injustes accusations, nous sommes loin de le croire assez complètement doué pour lui souhaiter ce que Dieu promettait à la postérité de Jacob, de s’étendre sur toute la terre, à l’occident et à l’orient, au septentrion et au midi. Sa tâche est mieux définie et plus restreinte : supérieur au point de vue industriel à toutes les races qui l’entourent, mais moralement inférieur aux Européens et séparé d’eux par l’immensité des doctrines spiritualistes où le christianisme puise sa force d’expansion et sa foi en son œuvre, le Chinois servira de trait d’union entre les civilisations diverses qui