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mortalité, qui dans ces deux derniers voyages a été réduite à 5 et à 2 pour 100. Pour les pays espagnols, la Havane et le Pérou surtout, l’émigration se fait sur une plus grande échelle. Le principal port d’expédition est Macao ; 10,722 Chinois y furent enregistrés en 1864, et 13,674 en 1865. La surveillance au départ laisse peu à désirer : le contrat est signé librement et sans surprise ; l’encombrement à bord n’a rien d’excessif, et l’on tient à ce que les bâtimens-transports soient pourvus des aménagemens convenables. Malheureusement, une fois rendu à destination, l’émigrant trouve le revers de la médaille. Les gages sont bien de 4 dollars par mois comme avec les Français et les Anglais ; mais à l’expiration de son engagement de sept ans, s’il ne retourne en Chine, force lui est à Cuba d’en contracter un autre, dont à la vérité il lui est loisible de débattre les termes. On ne veut pas de travailleurs libres sur cette terre à esclaves ; de plus la journée de travail est de seize heures pendant les six mois que dure la fabrication du sucre ; en un mot, le Chinois est moins bien traité à Cuba que le noir par cette simple raison que le planteur est intéressé à ménager dans ce dernier sa propriété, tandis qu’il n’a d’autre but que de tirer de son engagé la plus grande somme de travail possible pendant qu’il dispose de lui. Il se souvient que pour l’obtenir il a payé au débarquement 1,800 francs à l’agence d’émigration. Or nous avons vu qu’au départ le courtier déboursait environ 500 francs tant en avances qu’en frais de passage : un convoi de 500 émigrans donnerait donc dans ces conditions un bénéfice de plus de 600,000 francs ! La traite des noirs était moins lucrative. On peut du reste se croire reporté à cette époque néfaste en visitant à la Havane l’entrepôt de marchandise humaine du Cerro, où les nouveaux arrivés, assis par terre sur une double file, attendent le bon plaisir de l’acheteur en subissant son inspection ; mais ce qui rappelle encore mieux peut-être les lugubres souvenirs de la traite, c’est le sort fait aux Chinois dans une autre partie de l’Amérique espagnole, aux îles Chinchas sur la côte du Pérou. Rochers à pic recouverts de guano accumulé depuis des siècles, ces îles sont constamment entourées de navires qui accostent pour charger le long de falaises verticales de 100 mètres de hauteur ; du sommet leur est jetée une manche qui aboutit à la cale et y amène le guano versé dans l’ouverture supérieure. Découper par tranches cette fétide couche d’engrais d’une épaisseur de 10 à 20 mètres, en charger des wagons que l’on conduit sur des rails jusqu’à l’orifice de la manche, et les y faire basculer, telle est la tâche des Chinois. Rien de plus simple en apparence, rien de plus dur en réalité. A peine l’étranger qui visite cette exploitation en passant peut-il supporter une heure la rebutante