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s’est incarné le trafic de détail où s’alimente la presque totalité de la population indigène. Il serait de la dernière injustice de vouloir établir la balance de l’émigration chinoise sans faire entrer à son actif le mouvement qu’elle crée, le commerce qu’elle développe et les industries dont elle dote le pays, toutes choses qui ne peuvent peut-être pas toujours se traduire en chiffres, mais qui n’en constituent pas moins le véritable capital de l’émigrant. Reconnaissons d’ailleurs que l’opposition dont nous parlons ne s’est jusqu’ici manifestée qu’en paroles ; nul acte administratif ne lui a donné d’encouragement, et notre amour-propre national peut constater avec une satisfaction justifiée que, de toutes les colonies étrangères où le Chinois va chercher fortune, Saigon et Singapore sont celles où l’attend l’accueil le plus libéral et le plus hospitalier.


III

Nous ne nous sommes occupé jusqu’ici que de l’émigration libre des Chinois. Il en est une autre qui ne date que de peu d’années, et qui offre un tableau bien différent. Je veux parler de l’émigration par laquelle certaines compagnies établies en Chine recrutent et enrôlent des travailleurs qu’elles expédient ensuite en divers points du globe, notamment aux Antilles, à la Guyane, à Bourbon, au Pérou et à la Nouvelle-Grenade. Un contrat règle les termes du marche ; telle est du moins la théorie de ce système, qui n’est pas nouveau, puisque nos colonies au XVIIe siècle furent en partie peuplées de la sorte par les engagés dont il est si souvent question chez les écrivains de cette époque. Il n’y aurait rien à redire à une semblable opération, si la pratique était d’accord avec la théorie, si le contrat était toujours librement débattu et fidèlement observé ; mais il est malheureusement trop de cas où les choses sont loin de se passer ainsi. Les premiers essais de ce genre d’émigration remontent à l’époque où les principales nations de l’Europe, ayant aboli la traite, durent pourvoir à un autre mode de recrutement pour les travailleurs de leurs colonies. L’Inde anglaise, la côte d’Afrique et les ports de Chine devinrent les centres de ce trafic, car on ne peut citer que pour mémoire un faible contingent de Madériens sortis des îles hispano-portugaises de l’Atlantique. Nous avons eu l’occasion d’étudier dans la Revue les résultats économiques de cette émigration à la Martinique et à la Guadeloupe[1], plutôt à la vérité pour les coulies de l’Inde et les noirs africains que pour les Chinois, dont le nombre a toujours été assez restreint

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1863.