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d’Adélaïde, d’où ils gagnaient les districts aurifères par des régions presque inhabitées. Cette route détournée leur épargna au moins la capitation disproportionnée de l’entrée jusqu’au jour où l’Australie méridionale jugea bon d’imiter l’exemple de la colonie voisine en exigeant d’eux un droit égal. La même malveillance les attendait sur les placers, où ils s’employaient surtout à laver de nouveau les sables imparfaitement épuisés par les mineurs européens ; mais rien ne les décourageait. Sobre, infatigable et tenace, âpre au gain et plus économe que dix Auvergnats, John Chinaman forçait les Anglais eux-mêmes à lui rendre justice, comme ne craignit pas de le faire dans un rapport officiel l’un des gouverneurs de l’Australie méridionale. « Je suis forcé de dire en faveur de cette race hardie et jalousée, écrivait-il, qu’en ayant égard aux extorsions aux provocations que les Chinois ont subies en arrivant, ils ont jusqu’ici manifesté par leur conduite une grande patience et beaucoup de respect des lois. Ils se sont généralement conduits avec convenance et dignité. »

Cet abus du pouvoir, cette tyrannie du fort envers le faible font assurément tâche dans le brillant tableau que nous offre l’Australie. On voudrait voir un esprit plus large à cette société qui, sous tant d’autres rapports, donne l’exemple du plus merveilleux développement de ce siècle, et qui, sortie des prisons de la Grande-Bretagne, ayant en quelque sorte le pilori pour point de départ, s’est épurée de génération en génération jusqu’à pouvoir envisager avec confiance dans l’avenir la possibilité d’une destinée indépendante de la métropole. Elle demandait naguère du blé à la mère-patrie, elle lui en envoie aujourd’hui, et elle lui fournit en même temps, pour les besoins de son industrie immense, plus de laine à elle seule que tous les troupeaux de l’Europe et de l’Asie. Les miracles de la colonisation pastorale ont transformé des steppes désolés et des savanes désertes en prairies fertiles qui rappellent aux colons les campagnes des plus beaux comtés de l’Angleterre. Enfin l’or s’est révélé sur cette terre promise avec une telle abondance, que, suivant l’heureuse expression de M. Charles Dupin[1], la difficulté est non pas de trouver une place qui en contienne, mais une place qui n’en contienne pas, et cela sur une superficie qui dépasse 5 millions d’hectares, dans Victoria et dans la Nouvelle-Galles. En prenant pour base le rendement actuel, il faudrait, dit-on, près de deux mille ans pour épuiser ces trésors, évalués à 664 milliards de francs ! Certes la moisson est assez abondante pour que le possesseur du sol permette au pauvre Chinois de glaner quelques épis,

  1. Forces productives des nations, — Orient, Océanie.