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peut s’empêcher d’admirer. Ils y ont trouvé à toutes les époques des négociateurs rompus aux affaires, des conseillers intimes, des diplomates déliés, des esprits retors, parfaitement à l’aise dans les situations les plus compliquées, des hommes enfin tels qu’il les fallait à un état faible, forcé de s’agrandir pour durer et de lutter pour s’agrandir contre les menées ou les violences de ses voisins, exposé à la pression continue et aux attaques fréquentes de deux ou trois grandes puissances qui se disputaient son alliance. Unissant la finesse diplomatique et la bravoure militaire, la Savoie a produit une autre espèce de négociateurs qui ont largement contribué à l’accomplissement des destinées de la dynastie, c’est celle des soldats diplomates, dont les noms et les services seraient trop longs à rappeler. Le général qui a récemment signé la paix avec l’Autriche est un type de cette diplomatie militaire. Royaliste comme toutes les familles notables de la Savoie, mais s’en distinguant par un dévouement sans réserve à l’idée de l’indépendance italienne et aux institutions libérales dont la monarchie s’est entourée, il a pris part à tous les événemens qui depuis 1848 ont fait l’Italie nouvelle. Colonel du génie à cette époque, il entra le premier sur le territoire lombard ; secrétaire du ministre des affaires étrangères après Novare, il dirigea les négociations avec Radetzky, et s’efforça d’obtenir les conditions les moins défavorables à son pays. Après la paix, pendant cette période de 1849 à 1859 que le Piémont a si utilement employée à se relever d’une atteinte si rude, il prépare la revanche de Novare ; professeur à l’académie militaire, il forme des officiers du génie ; député au parlement, il soutient les projets du ministre de la guerre, la construction de poudrières, l’armement des forteresses, le transport de la marine de guerre au golfe de la Spezzia, toutes les mesures destinées à fortifier le petit Piémont devant l’Autriche. Quand la guerre éclate en 1859, il revient à son arme favorite, celle du génie ; il fait construire à la hâte sur la Dora-Baltea les travaux de défense destinés à protéger Turin menacé par les Autrichiens, et en 1861 l’habile direction qu’il imprime aux travaux du génie autour de Gaëte force la place à se rendre avant l’assaut. De nouveau diplomate, il a su promptement conclure la paix à Vienne, et rapporte à Victor-Emmanuel cette fameuse couronne des rois lombards, objet des ambitions persévérantes de sa maison. Toujours à la hauteur de toutes les situations, habile à tirer des plus difficiles le meilleur parti et souvent des ressources imprévues, aussi bien à sa place sur un champ de bataille qu’autour d’un tapis vert, le général Ménabréa clôt dignement la série des hommes remarquables sortis de son pays, et qui ont, comme lui, servi leur souverain par la parole et par l’épée.