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vigilance des citoyens pendant la nuit de l’escalade. La mission la plus singulière est celle du sénateur Chabod de Jacob, envoyé en Dauphiné pour préparer l’annexion de cette province au royaume des Alpes. Reçu par le parlement de Grenoble, toutes les chambres réunies, il y prononça un discours qui montre que les moyens imaginés alors ne diffèrent pas beaucoup de ceux qu’on invoque aujourd’hui. La mort d’Henri III, qui venait d’être assassiné par un moine fanatique, lui fournissait un texte que le magistrat savoyard sut exploiter habilement en faveur de sa thèse. Il présenta sous les plus vives couleurs le tableau de l’anarchie dans laquelle ce crime avait jeté le royaume de France, et en sa qualité d’homme de loi il en déduisit naturellement la faculté juridique et le droit de chaque province à se choisir un prince capable de la protéger. Puis, s’élevant à d’autres considérations, il développa les argumens que l’on trouve aujourd’hui au service de toutes les ambitions d’agrandissemens territoriaux : la situation géographique, la communauté de race, de langue et d’intérêt. « La nature, s’écrie-t-il, a fait des Dauphinois et des Savoyards un seul et même peuple. Quand vous leur aurez donné un même maître, ils seront encore ces Allobroges vaillans qui furent l’honneur des Celtes et la terreur des Romains. »

Mais toutes ces ambitions, toutes ces espérances patriotiques se brisèrent contre les obstacles que nous avons indiqués. C’était comme ligueuse et sous la pression catholique espagnole que la maison de Savoie revenait en-deçà des Alpes. La ligue lui tendait la main et lui ouvrait la voie de la France ; mais toutes les forces du protestantisme se tournèrent contre elle. La France a trop oublié plus tard qu’une épée huguenote a barré le passage à Charles-Emmanuel Ier et empêché la formation du royaume allobrogique. Lesdiguières, le rude partisan, celui qu’on a appelé l’écumeur des Alpes, et qui a détruit en effet plus de forteresses, de couvens et de châteaux féodaux que les plus fameux pirates n’ont brûlé de vaisseaux, Lesdiguières a été le bouclier de la France pendant les mauvais jours de la ligue. Le massif des Alpes qui s’élève entre la plaine piémontaise et le cours du Rhône fut le théâtre de ses exploits. Vingt fois il l’a franchi par des cols réputés inaccessibles à une armée, tombant avec la rapidité de l’avalanche tantôt sur le Piémont, tantôt sur la Savoie, et forçant l’ennemi par cette stratégie prodigieuse à passer et repasser inutilement les Alpes. Le duc de Savoie l’appelait le vieux renard. Il méritait en effet ce nom par ses ruses de guerre, par ses marches et contre-marches, qui déconcertaient tous les plans. Pour lui fermer la vallée de l’Isère, Charles-Emmanuel fit construire en 1596 le fort de Barreaux. Henri IV s’étonnait que Lesdiguières demeurât