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dynastique il suffisait d’établir celui-ci pour légitimer un agrandissement. Les droits de la maison de Savoie n’ont jamais manqué d’avocats ; elle a su mettre dans ses intérêts les puissances de l’esprit, intéresser à sa cause une légion de chroniqueurs, d’historiens, d’archéologues et de publicistes qui ont travaillé à lui construire des généalogies propres à justifier à la fois son double mouvement d’extension sur les deux côtés des Alpes. Cette question rétrospective, restée profondément incertaine malgré tant de travaux, n’a pas laissé d’exciter jusqu’à nos jours des débats dont la vivacité a tourné plus d’une fois à l’injure. La série des historiens savoyards qui rattachent la maison souveraine à une origine occidentale répond à la série piémontaise de ceux qui veulent lui trouver une origine italienne. Au fond de ces querelles en apparence oiseuses, il s’agitait, à vrai dire, une question nationale : il ne s’agissait de rien moins pour les uns que de ramener la monarchie de ce côté des Alpes, et pour les autres de l’entraîner sur l’Italie en faisant luire à son ambitieux génie l’héritage de la couronne de fer. Elle a hésité longtemps entre les deux partis, et l’on se tromperait fort de croire qu’elle s’est résolue à abandonner le versant occidental dès le jour où Emmanuel-Philibert transporta la capitale au-delà des monts. Elle y est revenue au contraire avec une obstination singulière, et ses violens retours sur le théâtre de ses premiers progrès forment la partie la plus dramatique de son histoire.


IV

On a dit que si, au moment de sa rencontre avec la réformation dans Genève, elle lui avait fait bon visage, si elle l’avait reconnue et embrassée à l’exemple de tant d’autres familles souveraines, Genève et la Suisse française lui seraient demeurées fidèles, Berne devenait son alliée, et ses destinées se fixaient à jamais en-deçà des Alpes ; mais le trône de Savoie était alors occupé par un prince faible, incapable de prendre cette forte résolution. Charles III ne sut se décider ni pour Charles-Quint, ni pour François Ier, ni pour la réformation, ni contre elle, et Genève, pendant qu’il hésitait, affermit son indépendance sous la protection de Berne et de la France. Privée de sa capitale naturelle, la domination cisalpine alla dès lors déclinant avec rapidité. De 1536 à 1601, les provinces situées au-delà du Rhône et du Léman, Vaud, le Valais, le pays de Gex, le Valromey, le Bugey et la Bresse, furent successivement retranchées des possessions de la Savoie : retranchemens douloureux, car toutes les parties de la petite monarchie avaient appris à vivre d’une existence commune sous le gouvernement de