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marquis de Saluces, et s’avançaient sur la plaine jusqu’à la Sesia, au-delà de Turin. Le Piémont attirait si peu son attention qu’elle l’avait donné en apanage à une branche cadette dite des princes d’Achaïe, titre d’un fief de la Grèce qu’ils n’ont jamais possédé, pas plus que la branche aînée n’a possédé les royaumes de Chypre et de Jérusalem ; mais en 1418 le Piémont fit retour au duc Amédée VIII par l’extinction de la ligne d’Achaïe, et ce prince se mêla plus activement que ses prédécesseurs des affaires italiennes.

Amédée VIII est un des personnages les plus remarquables de sa maison. D’une souplesse d’esprit et d’une activité peu ordinaires, il remplit les rôles, il se plie aux offices les plus variés, tour à tour soldat sur le champ de bataille, souverain magnifique d’un état qui pouvait passer pour grand à son époque, moine à Ripaille et pape sous le nom de Félix V, négociateur de la paix de Bicêtre, qui termina la guerre civile des Armagnacs, allié du roi de France contre ses grands vassaux, du duc de Bourgogne contre les rudes bourgeois des Flandres ; mais, quoi qu’il fasse, il ne perd pas de vue un seul instant les intérêts et les agrandissemens de sa dynastie. Moine ou pape, il ne cesse pas un moment d’être, sous le règne nominal de son fils Louis, le souverain effectif. C’est lui qui, du sein de l’église où il s’est réfugié, inspire et dirige la tentative de son fils sur la Lombardie, que nous rappellerons bientôt.

Il avait été mêlé pendant trente ans à toutes les affaires de France. Il avait, s’il est permis de s’exprimer ainsi, pratiqué à fond cette nation dans les diverses missions guerrières ou pacificatrices qu’il y avait remplies, et à travers les divisions qu’elle présentait il avait entrevu la puissance de sa future unité. Jusqu’à lui, la maison de Savoie avait pour ainsi dire gravité dans une sphère étrangère à la France, séparée qu’elle était de celle-ci par la Bourgogne ducale et par le Dauphiné ; mais au temps d’Amédée VIII la Bourgogne allait faire retour à la couronne, et le Dauphiné était déjà devenu l’apanage des fils aînés de France. Dans le choc inévitable de ces deux puissances inégales, l’avantage resterait nécessairement à la plus grande. Amédée VIII pressentit ce résultat, et tourna les yeux vers l’Italie, où il vit une issue pour sa maison. Les Visconti de Milan dominaient alors la vallée du Pô. Leur puissance s’étendait, parallèlement à celle de Savoie, du Saint-Gothard au golfe de Gênes et de la petite rivière de la Sesia à celle de l’Adda, sur les confins de la république de Venise. Le duc forma une ligue avec les Vénitiens et le roi de Naples, Alphonse d’Aragon, pour renverser cet obstacle. La ligue fut victorieuse, trop victorieuse à son gré, car elle allait anéantir la puissance des Visconti et la remplacer par une autre, par celle de Venise, tout aussi redoutable à ses desseins, et