Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’agrandir en Italie, car toutes les facilités de la descente sont du côté de la vallée du Pô. Qu’on prenne en effet une carte en relief indiquant la coupe des Alpes, et l’on verra du premier coup d’œil qu’elles tombent sur l’Italie par un versant rapide rayé de vallées qui sont autant de grands chemins conduisant presque en droite ligne dans la plaine. Tandis que de ce côté-ci le cataclysme qui les a soulevées a eu des contre-coups violens et prolongés qui ont fait surgir des chaînes secondaires et des contre-forts puissans, creusé dans toutes les directions des vallées étroites, tortueuses, profondes, offrant de toutes parts des positions stratégiques propres à l’attaque comme à la défense, sur le côté méridional au contraire l’émotion des forces primitives s’est apaisée subitement devant la splendide ouverture du ciel italien, et la moraine des Alpes s’est écroulée sans remous ni rejaillissemens. Nulle puissance n’a pu tenir longtemps sur ces sommets abrupts sans être entraînée en Italie par les facilités de la descente. L’éblouissant spectacle des magnificences du ciel et des richesses du sol italien a séduit Gaulois et Francs ; il a séduit même ces monarchies informes et éphémères qui s’étaient établies au moyen âge sur le versant occidental après la chute de l’empire de Charlemagne, entre autres celle de Boson et celle de. Rodolphe. On sait ce qu’il advint en Italie au fils de Boson. Le fils de Rodolphe Welf, qui s’était fait appeler le « roi des Alpes, » tenta la même aventure. Au mois de juillet 923, il se précipita sur l’Italie par la vallée d’Aoste, et remporta la sanglante victoire de Firenzuola, où Béranger Ier, le bourreau de Louis l’Aveugle, perdit le trône. Cette victoire lui servit de peu, parce que les Italiens, « voulant toujours avoir deux maîtres pour contenir l’un par la peur de l’autre, » selon le mot spirituel du Milanais Luitprandi[1], lui opposèrent bientôt un compétiteur dans la personne de Hugues de Provence, comme ils l’avaient opposé lui-même à Béranger, et il fut obligé de repasser les Alpes.

Soit que l’échec répété des deux dynasties auxquelles celle de Savoie se rattache par des liens étroits ait été pour celle-ci un enseignement, ou que le spectacle de la mobilité italienne ait répugné longtemps à son esprit de suite, elle ne s’est abandonnée qu’assez tard au mouvement qui la portait dans cette direction. Sa politique ne commence à trahir des préoccupations de ce genre que vers le milieu du XVe siècle, à une époque où ses possessions transalpines, » déjà considérables, embrassaient les versans immédiats des Alpes à l’exception de ce qui appartenait sur les flancs du Mont-Viso aux

  1. « Italienses semper geminis uti volunt dominis ut alterum alterius terrore coerceant. » Luitprandi, Chron., lib. III.