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De ces trois compétiteurs, le second fut éliminé en 1394 par cet achat à beaux deniers comptans que nous avons rappelé. Restaient la commune et l’évêque. Il advint à celui-ci ce qui était arrivé à l’évêque de Maurienne : menacé dans son pouvoir temporel par la commune de Genève, il dut appeler à son secours le Savoyard en lui inféodant la charge judiciaire du vidomne, vicedominus, sorte de vicaire de l’évêque pour l’administration de la justice. A dater du jour où ce modeste fonctionnaire rendit la justice au nom des ducs de Savoie, il n’y eut plus de place que pour lui : sa juridiction s’agrandit à droite et à gauche, gagnant à la fois sur celle de l’évêque et sur celle de la commune ; il devint un personnage considérable, magnifiquement logé dans le château fort de l’île du Rhône, et sa demeure seigneuriale, gardée par une nombreuse troupe d’archers, servit de pied-à-terre à son seigneur et maître pendant les séjours de plus en plus fréquens et plus prolongés de celui-ci à Genève. Alors un cortège brillant de gentilshommes savoyards se répandait dans la ville et donnait aux bourgeois émerveillés le spectacle pompeux des mœurs monarchiques. La politique de Savoie consistait à s’appuyer tantôt sur l’évêque pour résister à la commune, tantôt sur la commune pour résister à l’évêque. Nul doute que le résultat final n’eût été l’entière soumission de Genève, si ce jeu n’avait pas été troublé. Déjà la municipalité inclinait à accepter cette suprématie, et Bonnivard, dans ses Chroniques de Genève, nous montre les quatre syndics, « les magnifiques seigneurs, » comme on les appelait, portant le dais sous lequel le duc Charles III faisait son entrée triomphale dans sa bonne ville. Le pouvoir temporel, diminué par le passage de plusieurs cadets de Savoie sur le siège épiscopal, n’existait plus que de nom ; mais au moment où cette politique patiente allait atteindre le but de ses efforts, elle fut brusquement arrêtée par l’arrivée d’une quatrième puissance, qui changea la face de Genève et du monde : la réformation fit son entrée à Genève en 1525. Elle rejeta du même coup la monarchie, l’évêque, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, et fonda la république qui dure encore. La Savoie se heurta violemment à cette puissance nouvelle, qui aurait peut-être succombé sans les secours de Berne et les diversions de la France. Alors commencèrent les grandes épreuves : les provinces suisses et la Savoie du nord sont envahies par les Bernois, la Bresse, le Bugey, le Valromey et la Savoie du midi par François Ier. Cette crise terrible eût été mortelle, si la maison de Savoie n’avait eu alors qu’une existence ; mais elle en avait deux, l’une sur les versans occidentaux, l’autre sur les versans méridionaux. La première finit en 1536 au milieu des convulsions européennes provoquées par la rivalité de François Ier et de Charles-Quint ; nous allons la suivre dans la seconde.