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pas de race royale plus constamment soumise. Sa dévotion, portée jusqu’aux minuties du cloître, lui donne une physionomie à part, où les traits de l’ascète et du moine se mêlent souvent à ceux du politique et du guerrier. Qu’on ne s’y méprenne pas pourtant : ces princes dévots savent très bien demeurer maîtres d’eux et chez eux. On dirait même qu’ils ne prennent cet air contrit et humilié que pour mieux résister et pour élargir plus sûrement le cercle de leur autorité et l’étendue de leurs domaines. Ils se font volontiers moines, évêques, cardinaux et papes. Rome les canonise et les béatifie ; elle ne sait rien refuser à ces saints et à ces bienheureux, et, tandis qu’elle ne laisse aucun pouvoir étranger prendre pied sur le sol italien, elle se montre conciliante envers celui-ci, elle en vient avec lui aux accommodemens et aux concordats. Le duc Louis II est le premier prince catholique qui ait été investi du droit de nomination aux grandes charges ecclésiastiques dans ses états. Son père, le moine de Ripaille, devenu pape, lui obtint cet avantage unique pour prix de son désistement volontaire de la papauté en faveur de Nicolas V. Par la nomination des titulaires, les princes de Savoie ont tenu dès lors sous leur main ces petites papautés temporelles qui avaient jusque-là embarrassé leur marche.

Une pourtant a résisté, et cette résistance a été le point de départ du mouvement qui a rejeté la maison de Savoie au-delà des monts : c’est l’évêché de Genève. Magnifiquement assise dans la vallée du Léman, dominant le lac et le cours du Rhône, placée au centre de ses possessions cisalpines quand elles s’étendaient au nord jusqu’à Berne et à l’ouest jusqu’à la Saône, Genève en était la capitale désignée par la géographie et par l’histoire ; elle avait à l’égard des futurs développemens de la petite monarchie alpestre l’importance qui appartient à Rome aujourd’hui dans l’évolution italienne. Elle avait été la capitale des premiers rois burgondes avant que Gondebaud l’eût portée à Lyon ; c’est là qu’avait été adoptée la loi Gombette, et dans le bassin qu’elle domine s’étaient réfugiées la royauté et la nation chassées par les Francs. On comprend l’attraction qu’elle devait exercer sur une dynastie nourrie de ces traditions, et qui aspirait à refaire la domination des Niebelungen. Aussi cette dynastie s’efforça-t-elle d’y mettre le pied dès sa première apparition sur les Alpes occidentales, mais elle y avait été devancée par deux ou même par trois compétiteurs : par l’évêque, prince souverain en vertu de la bulle d’or de 1162 de Frédéric Barberousse : par le comte du Genevois, dont le pouvoir indépendant remontait à la déclaration de l’hérédité féodale de Conrad le Salique en 1037 ; enfin par la commune affranchie, plus ancienne encore, puisqu’elle remontait au municipe gallo-romain.