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facilement raison, c’est celle des évêques. Ils étaient tous au moyen âge des papes au petit pied, armés du double pouvoir de l’épée et de la crosse pastorale. L’auteur des Origines féodales n’a pas omis de remonter à celles-là. Il donne l’acte de naissance de ces produits hybrides de l’empire et du sacerdoce, leurs chartes de fondation, plus authentiques en général, il faut le dire, que celles qui ont constitué le patrimoine romain. La maison de Savoie a dû réduire successivement cinq ou six de ces petites papautés temporelles pour dégager la route du côté des Alpes occidentales. Si elle se trouve aujourd’hui en présence d’une autre papauté, ce n’est point là un fait nouveau dans son histoire, et l’on pourrait deviner la solution que recevra la question romaine par les solutions qui ont été données aux conflits antérieurs de même nature, si les événemens permettent au roi d’Italie de suivre les inspirations de la politique traditionnelle de sa famille. L’attitude de ses ancêtres devant les puissances ecclésiastiques a été la même que devant les seigneurs laïques : même patience, même égalité d’humeur, même ténacité. Ils ont procédé contre elles non par la force et les coups de main, mais par ce qu’on est convenu d’appeler aujourd’hui les « moyens moraux, » par un gouvernement plus juste, offrant plus de sécurité et de garanties sociales que celui des évêques, affaibli et vicié par le mélange du spirituel et du temporel. Vaincu sans pouvoir résister, l’évêque était forcé par les plaintes et les révoltes de ses sujets de rechercher l’appui du prince, qui ne le refusait jamais, mais à la condition d’entrer de compte à demi dans l’administration temporelle du diocèse. Qu’on nous permette de suivre cette politique de plus près dans un cas particulier, dans les relations du prince avec l’évêque de Maurienne.

Cet évêché était de fondation franque, il avait été créé par le roi Gontramn après la conquête du premier royaume de Bourgogne, agrandi par les rois du second royaume, protégé par les empereurs d’Allemagne, de qui relevaient directement les princes-évêques de Maurienne. Jeté en travers de la route du Mont-Cenis, il gênait les mouvemens de la maison de Savoie sur les deux versans, et formait devant elle, toute proportion gardée, un obstacle aussi considérable que le patrimoine de Saint-Pierre devant l’Italie nouvelle. L’ayant trouvé tout formé sous ses pas, elle le respecta longtemps selon son habitude, mais sous le règne d’Amédée VI le gouvernement de Savoie, qui avait dès lors acquis une certaine consistance et dont l’autorité, partout obéie, tranchait sur l’anarchie de l’administration ecclésiastique, vit son intervention sollicitée : des mécontentemens et des révoltes éclatèrent et furent réprimés par le comte, qui toutefois ne réclama point le prix de ses services.