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été l’agresseur : il fut vaincu par Pierre II, que ses exploits et son génie organisateur ont fait surnommer le petit Charlemagne. Depuis cette première rencontre sur le champ de bataille, ces deux familles ont déposé leur haine, elles se sont liées par des services mutuels, par des traités politiques et par des mariages. Souvent même, forcée de reculer devant la pression française devenue trop forte, la maison de Savoie a dû chercher en Allemagne son point d’appui et a trouvé un refuge dans la maison de Habsbourg. C’est avec les secours de l’empire qu’Emmanuel-Philibert et le prince Eugène ont par deux fois reconquis l’héritage de leurs ancêtres. Tant que l’intérêt dynastique aura quelque poids dans la politique, il faudra tenir grand compte de ces liaisons historiques. Qui sait si ces deux vieilles races, n’ayant plus entre elles la nation opprimée qui les divisait et les aigrissait l’une contre l’autre, ne reviendront pas à leur intimité séculaire, aux traités politiques et aux mariages de famille ? Leur rapprochement vient de s’établir aujourd’hui par les soins d’un négociateur habile qui n’aura point négligé, sans doute, d’ajouter aux nécessités de la diplomatie les enseignemens de l’histoire.

Parvenus à l’empire en 1274, les Habsbourg ne furent, pas plus que leurs prédécesseurs, un obstacle aux agrandissemens de la Savoie en-deçà des monts. Les princes de Savoie achevèrent de dévorer l’ancien fief impérial. Ils acquièrent la Bresse par un heureux mariage avec Sibille de Beaugé, le Faucigny par un traité d’échange contre leurs possessions du Dauphiné, le Genevois par un achat à beaux deniers comptans, les villes de la Suisse — Nyon, Lausanne, Payerne, Moudon et Morat par des soumissions plus ou moins spontanées et des donations impériales. Berne fait sa soumission en 1266 et la renouvelle en 1268. D’autres villes, d’autres pays de langue tudesque se soumettent également à Pierre II et à son successeur Philippe. Ces agrandissemens de territoire dans des pays de langue allemande n’ont pas eu de durée. La maison de Savoie, française par la langue parlée à la cour, est demeurée française jusqu’au transfert de la capitale au-delà des monts, en 1559, et n’a pu se maintenir en Suisse que dans les limites du pays où le français est parlé. Ne pouvant s’étendre dans la partie allemande de l’ancien royaume de Bourgogne, elle revient sur la partie française, gagne la Bresse, et cherche, sans y parvenir, à tourner le Jura par le pays qui domine Bourg, appelé aujourd’hui le Revermont. Toute la partie du fief impérial située sur le versant français du Jura lui a échappé ; mais cette bande de pays qui forme les départemens du Jura et du Doubs l’a préservée des attaques directes du duc de Bourgogne et du roi de France, et quand celui-ci s’en empara, elle