Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couverte contre les entreprises des souverainetés plus puissantes créées à côté d’elle et en même temps qu’elle, les dauphins du Viennois, les ducs de Bourgogne et enfin la monarchie française. Sans cet abri protecteur, vingt fois dans sa longue existence elle aurait été écrasée contre les Alpes. Dans ce fief impérial, à couvert sous l’épée de ses tuteurs, elle a pu se développer lentement, traverser l’âge critique de la formation des grandes monarchies fatal à tant d’autres souverainetés féodales, s’arrondir par degrés, prenant ici une ville, là une vallée, étendant de jour en jour son patronage sur des populations opprimées par un seigneur ou par un évêque. Pour la récompenser du service qu’elle leur avait rendu, les empereurs, trop occupés en Allemagne et en Italie, l’oublient ou la laissent tranquillement s’agrandir, pourvu qu’elle se reconnaisse leur vassale. Par eux, la Savoie est érigée en comté, puis en duché ; par eux, un successeur d’Humbert, Amédée VI, est revêtu du titre de vicaire impérial, dignité qui a fait des petits comtes de Maurienne les grands juges de la féodalité, et leur a valu une autorité que la monarchie française n’a conquise qu’au prix de longues guerres avec ses grands vassaux. Enfin, parvenant à force d’habileté à se faire passer pour héritière d’un droit antérieur, elle supplante peu à peu l’empire dans un fief impérial, et s’attribue la plénitude de l’autorité souveraine, ce qui a fait dire à des historiens peu instruits de ses origines, à Guichenon et à d’autres, qu’elle n’avait jamais été la vassale des empereurs. Au milieu du XIIIe siècle, alors que le droit de l’empire subsiste encore incontesté, la puissance de la Savoie s’étend, à travers les Alpes, de la plaine de Turin à l’Oberland bernois, de la vallée d’Aoste à Lyon et au Rhône, et même dans le Rhône, jusqu’où peut aller un cheval sans nager, dit un ancien traité de délimitation.

C’est en se développant du côté de Berne qu’elle se trouva, en 1265, face à face avec le chef de la famille des Habsbourg, dont les destinées offrent plus d’un trait d’analogie avec les siennes. Parties toutes les deux du versant occidental des Alpes, elles ont suivi un mouvement analogue d’occident en orient, déplaçant de siècle en siècle, sous la pression de la France, le centre de leur domination ; mais l’une, plus libre de ses mouvemens, plus habile à se conformer aux circonstances et aux accidens du voyage, suivant et devançant parfois les progrès dus à l’esprit particulier des peuples qu’elle s’assimilait et à l’esprit général du siècle, n’a cessé de croître et de se fortifier, tandis que l’autre, raide et compassée, conservatrice à tout prix et le dos tourné à l’avenir, a vécu toujours contestée, ne laissant derrière elle, dans les pays qu’elle devait abandonner, ni regret ni sympathie, et a fini par déchoir de son ancienne grandeur. Leur première rencontre fut un choc. Rodolphe de Habsbourg avait