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l’anneau est demeuré le signe consacré de l’autorité souveraine et de sa transmission : comtes, ducs et rois l’ont porté au doigt le jour de leur couronnement jusqu’à la révolution française, qui frappa ces emblèmes d’un discrédit irrémédiable. Ce précieux joyau, d’une valeur intrinsèque considérable, s’est égaré au milieu du déménagement précipité de la royauté sarde en 1796.

On voit, dans cet effort des princes de Savoie pour renouer la tradition burgonde, apparaître déjà leur politique, toujours attentive à mettre le droit de son côté, habile à se couvrir du prestige des anciens rois, et qui vient encore de se manifester tout récemment dans les négociations entamées avec l’Autriche pour obtenir d’elle la couronne de fer des rois lombards. Appuyés sur ces traditions populaires, ils parvinrent rapidement à établir leur autorité sur une grande partie du second royaume. Il est curieux de les voir à l’œuvre dans ces faibles commencemens. A la manière dont ils débutent, on peut deviner leurs qualités politiques et pressentir leur future grandeur. Le chef de la famille, Humbert aux blanches mains, entre sur la scène de l’histoire par un coup de théâtre où éclatent quelques-unes des qualités qui font les grandes races. Il choisit sa voie avec une promptitude de mouvement et une sûreté de coup d’œil réellement étonnantes au milieu des événemens qui suivirent la mort du roi. Le chroniqueur Wippo[1] raconte qu’au moment où, dans le pays burgonde comme partout, la féodalité aspirait à se constituer, les seigneurs prirent les armes sous la conduite de deux chefs francs, Eudes de Champagne et Reynold de Mâcon, pour empêcher la réunion du diadème de Bourgogne à la couronne impériale sur la tête de Conrad le Salique, l’héritier désigné. L’insurrection était déjà maîtresse de tout le versant occidental, de Payerne et Morat jusqu’à l’Isère. Humbert se jeta dans le parti impérial, préférant, dit le chroniqueur, un pouvoir unique, même étranger, à l’anarchie féodale. Repoussé d’abord dans la vallée d’Aoste, il s’y reforma avec les bandes que lui amenaient les évêques, effrayés comme lui de la féodalité laïque, et, profitant habilement des passages qui ont été si utiles à ses descendans, il franchit le grand Saint-Bernard au milieu de la neige, tomba sur l’armée des seigneurs dans le Valais, la dispersa, et vint donner la main à Conrad, qui s’avançait par l’Helvétie allemande.

La marche hardie d’Humbert, qui assura l’héritage du second royaume aux empereurs d’Allemagne, a eu les résultats les plus heureux sur les destinées de sa maison. L’empire, amené en-deçà des Alpes, sur le Doubs et la Saône, a été le bouclier qui l’a

  1. Wippo, In vita Conradi.