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pays, tira en 888 ces insignes vénérables du lieu secret ou ils étaient cachés depuis la conquête franque, et dans l’abbaye de Saint Maurice, sanctuaire de la tradition nationale, en présence du clergé, des grands et du peuple assemblés, il les revêtit lui-même, sibi imposuit, dit l’annaliste Réginon, et fut proclamé roi, l’anneau de saint Maurice au doigt, la lance au poing et le diadème sur la tête. Il fonda un royaume qui fut selon l’expression d’un historien, l’effort d’un peuple qui cherche à revivre. Ce royaume ressuscitait, mais sur une moindre étendue, le premier royaume de Burgondie. Il était limité au nord par les Alpes bernoises et la Reuss, à l’ouest par le Doubs et la Saône, au midi par le Rhône et la Durance, à l’est par les Alpes qu’il franchissait dans la vallée d’Aoste. Ces création monarchique, qu’il ne faut pas confondre avec la Bourgogne ducale, laquelle a toujours relevé de la couronne de France, compta quatre rois, et devint par le testament du dernier, mort sans enfans en 1032, un fief de l’empire d’Allemagne, qui a entravé pendant des siècles l’extension de la France vers le Jura et les Alpes ; le dernier lambeau de ce fief n’a pu être emporté qu’en 1674 par la conquête de la Franche-Comté sous le règne de Louis XIV.

C’est à ce mouvement vers l’indépendance que se rattachent directement la maison de Savoie et sa puissance en deça des Alpes. La première figure de cette longue galerie de souverains qui se continue en Victor-Emmanuel apparaît, auprès du dernier Rodolphe. Ses successeurs immédiats, les premiers comtes de Maurienne et de Savoie, s’efforcent de renouer la tradition burgonde du premier et du second royaume, revendiquant avec obstination l’héritage des pacifiques descendans de ceux qui sont célébrés dans les Niebelungen et l’Edda. L’abbaye de Saint-Maurice devient pour eux un sanctuaire politique et religieux ; ils prennent le titre d’abbés-commandeurs comme les rois rodolphiens avaient pris celui d’abbés-comtes. Ils mettent leurs acquisitions sous le patronage du saint populaire dans cette région des Alpes, et des églises, des cathédrales s’élèvent en son honneur sur les deux versans. Sous ce vocable vénéré, auquel s’est ajouté celui de saint Lazare, Amédée VIII fonde au XVe siècle l’ordre religieux et militaire qui est devenu la première distinction honorifique de la petite monarchie. Un autre fait témoigne mieux encore de leur tendance à rattacher l’un à l’autre leur droit dynastique et la royauté burgonde : c’est leur empressement à se mettre en possession, dès 1250, de l’emblème visible de cette royauté. Le comte Pierre II, à l’exemple du premier Rodolphe, tira du trésor de l’abbaye l’anneau du glorieux légionnaire romain. Il n’est plus question de la lance dans les annales de Savoie, le diadème avait passé aux empereurs ; mais