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ration, et les conditions de notre réserve actuelle. Les statistiques les plus minutieuses devront, sur ces divers points, être attentivement recherchées. Le premier caractère d’une armée vraiment nationale doit être de représenter fidèlement les conditions diverses de la nation. Il serait curieux de connaître quelle est, au point de vue du recrutement, la composition actuelle de nos régimens, dans quelle proportion s’y trouvent les appelés par rapport à ceux qui servent pour la prime, qu’ils soient rengagés, engagés après libération, ou remplaçans ; il faudrait savoir la provenance des cadres si importans des sous-officiers, en quel nombre les rengagés y figurent. Beaucoup d’excellens officiers pensent que le caractère de l’armée a souffert du système de recrutement qui s’est établi à la suite de la loi de dotation ; ils voient avec peine les progrès de l’exonération, rendus si faciles par les sociétés d’assurance ; ils regrettent l’éloignement croissant des jeunes hommes des classes aisées pour l’état militaire ; ils déplorent le découragement qu’inspire aux vocations désintéressées l’obstruction créée par les sous-officiers rengagés dans les cadres inférieurs ; ils critiquent l’esprit nouveau de bien-être calculateur et bourgeois qui s’est introduit dans ces cadres avec les primes ; ils soutiennent que l’armée actuelle traîne avec elle trop de vieux soldats et de grognards. Des états détaillés, tels que ceux que nous réclamons, mettraient l’opinion à même de se prononcer sur ces critiques, et sont d’ailleurs des pièces qu’on ne peut se dispenser de produire au débat. Du côté de la question sur lequel il faudra s’arrêter aussi avec une attention profonde, c’est la valeur effective de notre système de réserve. Nos soldats de la réserve ne font en trois ans que cinq mois de services effectifs. Nous qui par ignorance avons si longtemps dédaigné les landwehrs prussiennes, et qui affections de n’y voir que des gardes nationales, pouvons-nous être sérieusement sûrs et fiers de nos réserves, à qui nous donnons une instruction militaire bien plus imparfaite ? Les hommes de notre réserve possèdent, dit-on, très bien le maniement des armes et ont bon air les jours de parade ; mais peuvent-ils contracter cette homogénéité avec les troupes permanentes qui est la condition de la force et de l’unité d’une armée ? Enfin, pour arriver à former une armée d’un million d’hommes, est-il possible qu’on se contente d’opérer une addition nominale en prenant 400,000 hommes dans les gardes nationales mobilisables ? Un placage de gardes nationaux à la suite ne constituerait pas une armée. Que notre état militaire se compose d’élémens divers, de séries successives, cela est naturel et raisonnable ; mais il faudra que l’ensemble soit coordonné et solidaire, que les élémens se fondent en une harmonie de cadres, d’instruction, d’esprit et de caractère, et que, malgré les différences de circonstances et de degrés dans les obligations pratiques du service, tout s’absorbe dans l’unité du génie militaire français.

Les nécessités techniques de la nouvelle organisation conduiront les esprits les plus timides aux principes politiques qui dominent cette impor-