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amplement aux orateurs de quoi s’exercer. Ce n’était qu’un choix à faire parmi des sujets qui leur étaient familiers, le salaire, les grèves, les chômages, l’emploi des femmes et des enfans, les secours mutuels, les contrats d’apprentissage, enfin les services rendus au travail par le capital, que les ouvriers savent mieux maudire que définir. Nul doute que si, sur tous ces points, les membres du congrès eussent mis en commun le fruit de leurs observations journalières, sincèrement, sans mélange de déclamations, avec l’autorité qui s’attache à l’exposé des faits dont on a été acteur ou témoin, il ne fût sorti de ces conférences un document de quelque valeur et la plus concluante des enquêtes. Malheureusement, dans les débats de Genève comme dans les rapports des délégués de 1862, on a trop haussé le ton, trop enflé la voix : ce sont les mêmes ambitions hantant, on le dirait, les mêmes cerveaux, tant l’identité du langage est frappante. Ce sont aussi les mêmes énormités économiques plutôt aggravées qu’adoucies, et dont le caractère persistant démontre jusqu’à l’évidence qu’il n’y a eu là-dessus ni résipiscences, comme on l’assurait, ni amendemens d’opinion. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur les procès-verbaux du congrès : rien de plus significatif.

Ce qu’il y a lieu de noter d’abord, ce sont les contrastes de l’esprit de race qu’a rendus sensibles le cours des débats. Les ouvriers anglais, qui connaissent le prix du temps, n’étaient pas venus en Suisse seulement pour discourir ou entendre discourir à perte de vue sur des questions qui ne pouvaient pas aboutir à des actes ; ils avaient un projet susceptible à leurs yeux de réalisation, et ce n’était rien moins que l’organisation de toutes pièces d’une grève universelle. Voici les motifs qu’ils donnaient à l’appui de leur proposition. En Angleterre, disaient-ils, nous sommes constitués si fortement que le prix des salaires est à peu près à la discrétion de nos comités exécutifs. Un fabricant résiste-t-il, on le met à l’index, et le lendemain ses ateliers sont déserts, il est rare qu’il ne transige pas ; mais si au dedans nous dominons le marché, au dehors l’influence nous échappe. On embauche çà et là sur le continent des ouvriers qui viennent troubler nos arrangemens domestiques et peser sur notre main-d’œuvre. C’est à quoi il est urgent d’aviser, et, tout réfléchi, il n’y a qu’un moyen efficace, c’est que toute grève devienne une grève européenne. Les diverses sections de l’Association internationale s’entendraient pour cela, et une fois d’accord agiraient vigoureusement. Au premier signal, toute branche d’industrie pourrait, sur les îles anglaises et en terre ferme, être simultanément frappée de torpeur ou rendue à l’activité. La durée de l’interdit dépendrait du plus ou moins de bonne grâce qu’y