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que le congrès allait siéger. Le local avait été transformé à peu de frais : quelques drapeaux en faisceau, celui des États-Unis, celui de la confédération helvétique et au milieu le drapeau rouge de l’association, quelques chaises pour les membres du congrès, une table pour le président, une simple barrière pour isoler les spectateurs. Il n’y eut un peu de mise en scène que pour l’inauguration ; au jour choisi, les délégués traversèrent la ville escortés par les ouvriers genevois, musique en tête, drapeaux déployés, et furent salués à leur entrée dans la brasserie par les chants d’une société chorale venue des cantons allemands. Après ces honneurs, les délégués prirent séance ; ils étaient soixante-quatre, sept de Londres, onze de Paris, dix de Lyon, deux ou trois Belges, autant d’Italiens, le reste appartenant aux diverses parties de la Suisse. L’Allemagne n’y avait qu’un représentant ; ce vide fut expliqué par l’état de guerre. Comme dans toutes les assemblées délibérantes, on procéda d’abord à la vérification des pouvoirs, à la formation du bureau, au règlement et à l’ordre des débats. Des incidens tumultueux prouvèrent bientôt que cette dernière précaution n’était pas inutile. Il avait été décidé que le public serait admis aux séances moyennant un droit d’entrée de vingt-cinq centimes par personne. La recette fut mince ; au lieu de la foule qu’on attendait, il ne vint que de petits groupes, hostiles pour la plupart, et d’où s’éleva la prétention d’intervenir dans les discussions au même titre que les délégués. On les éconduisit ; ils insistèrent, disant qu’il n’était pas décent que des ouvriers missent la lumière sous le boisseau. Bon gré, mal gré, il fallut que le congrès fît la police de ses séances ; on échangea de gros mots, même des voies de fait ; il y eut un moment de mêlée. Enfin le calme se rétablit, et par un vote on confirma l’article du règlement aux termes duquel les membres de la réunion étaient seuls autorisés à prendre la parole.

Le congrès avait un programme des plus vastes qu’on puisse imaginer et chargé d’une telle abondance de matières qu’une année de session n’eût pas suffi pour l’épuiser. Dans la série des sujets à agiter figuraient la religion, la morale indépendante, la permanence des armées, l’assiette de l’impôt, les traités de commerce, une croisade contre l’empereur de Russie pour la délivrance de la Pologne. Il serait sans intérêt de s’appesantir sur les divagations auxquelles donnèrent lieu ces questions de chaire ou de tribune ; les ouvriers ne s’y inspiraient évidemment ni de leurs propres idées, ni de leur expérience personnelle. À la louange de la majorité, il est juste d’ajouter qu’elle eut le bon esprit d’écarter par ses votes tout ce qui était un hors-d’œuvre évident ou de nature à blesser trop de consciences, Même ainsi dégagé, le programme offrait