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grande, donnent à l’architecture un aspect de solidité et d’élégance bien autre que les maigres traînées de plâtre qui encadrent nos frises et nos plafonds. Ainsi quelques triangles groupés suffisent à former ces pendentifs, ces rangées ou katar, comme on les nomme, d’un aspect si décoratif et si varié. Les trois glaces, disposées triangulairement dans le kaléidoscope, entre lesquelles on jette des morceaux de verre ou de carton de formes et de couleurs diverses, donnent une idée parfaite des nombreux dessins géométriques que peut engendrer la symétrie avec trois, cinq ou sept formes, de même qu’avec sept notes on obtient toutes les harmonies.

Les architectes qui saisissaient avec une sagacité si merveilleuse les lois intimes de la formation des corps et savaient avec tant de goût se les approprier n’étaient certainement pas insensibles aux grandes lignes pittoresques que nous offrent dans leur ensemble certains monumens naturels, et il y aurait à cet égard des remarques bien curieuses à faire. On trouve sur les bords asiatiques de la Mer-Noire une grotte fort belle, et dont l’entrée a un grand caractère. Quand on en examine les détails, on est frappé de sa ressemblance avec les portes des monumens de Constantinople, et on se demande si ce n’est pas là qu’est venu s’inspirer l’architecte de la mosquée de Soliman. Ce rapprochement est-il une pure hypothèse de notre esprit, n’a-t-il frappé personne avant nous ? Écoutez le nom que donne à cette grotte le kaïdji turc : c’est le Guzeldjeh-Seraï, le palais merveilleux.

Dominés que nous sommes par les fausses maximes de l’alignement et de la régularité absolue, nous ne songeons guère à ces règles divines qui, à l’aide de toutes les combinaisons de lignes droites ou courbes, composent cette architecture des mondes si pleine de variété et d’unité tout à la fois. Cet instinct du grand, de l’équilibre immense, est détruit en Europe par une arithmétique étroite et mesquine. On parle souvent, et nous répétons une phrase consacrée, « des règles suprêmes de l’architecture classique, dont les Grecs nous ont légué le code, et dont on ne saurait se départir sans s’égarer. » Ces règles assurément ne sauraient être plus impératives en architecture que dans les autres arts ; elles sont infinies et variées comme les créations de Dieu, n’obéissant qu’à un principe, celui du beau. De ce que la géométrie et la statique sont indispensables à l’art architectural, il n’en résulte pas qu’il ne soit qu’un produit de ces sciences. On prétend que quelques gouttes de pluie tombant de l’extrémité des solives projetées au-dessus de l’architrave plurent tellement à un architecte qu’il en forma les ornemens habituels du triglyphe dorique, que les anciens virent