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dispose et prépare les matériaux ! A l’aide du froid, du chaud, de la neige, de la pluie, de l’électricité, elle désagrège les roches, les délaie, les broie, puis en fait filtrer les diverses substances à travers les couches de la montagne, les précipitant suivant la pesanteur et les affinités de chacune d’elles. Ces infiltrations chargées de chaux, de fer, de sable, de magnésie, de toutes les substances qu’elles ont recueillies en chemin, s’accumulant goutte à goutte aux parois glacées des arcades qui soutiennent la voûte, se pétrifient, cristallisent et affectent, suivant la nature des principes qui les constituent, la forme de prismes triangulaires, quadrangulaires, octaèdres ou décaèdres d’une régularité mathématique.

En décrivant ces grottes, bien des voyageurs se sont écriés que là sans doute les premiers chrétiens avaient puisé l’idée de l’art ogival. Ils ne croyaient pas si bien dire, et, n’approfondissant pas cette idée, ne connaissant pas l’art décoratif en Orient, ils n’ont pas compris cette grande loi de la cristallographie sur laquelle s’appuyèrent avec tant d’intelligence les architectes orientaux. N’est-ce pas ici en effet de l’architecture toute faite, et bien autrement frappante pour l’esprit et les yeux de l’homme que les végétaux ou les animaux, dans les formes desquels interviennent des principes géométriques moins palpables et plus déguisés ? Cette architecture nouvelle a surgi lorsque les sciences en se développant pénétrèrent les secrets de la chimie, de la cristallisation. Quelle idée plus simple que celle-ci ? Voici comment les voûtes des grottes se forment et se soutiennent, comment les colonnes, les chapiteaux, les pendentifs affectent dans ces temples souterrains des aspects si réguliers, si grands et si variés ; voici par quels procédés la nature élève ses édifices ; voici les formules, les lois géométriques dont elle se sert : imitons-la donc, appliquons les exemples qu’elle nous donne, tout en nous conformant aux restrictions de notre esprit, aux besoins et aux faiblesses de notre humanité.

L’ornementation cristalliforme découlait naturellement de la voûte ; l’esprit régulateur de l’homme, en élevant un dôme rond, ou polygonal sur la base carrée d’un monument, était amené à remplir les angles au moyen de ces pendentifs qui, grimpant les uns sur les autres, viennent s’épanouir au pourtour de la coupole, la saisissent et lui servent de point d’appui. Dès qu’un pendentif était nécessaire, les pendentifs minéraux qui décorent les voûtes naturelles devaient se présenter à la pensée. Les fins constructeurs qui surprirent cette loi de la cristallisation polyédrique en vertu de laquelle les cristaux tendent à se réunir sous des formes géométriques poursuivirent leur recherche dans toutes les créations de Dieu ; ils virent aisément dans les minéraux, les végétaux et les