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de l’Amérique du Nord auront d’autant moins de dangers à courir qu’un plus grand nombre d’états jouissant d’institutions semblables entoureront la grande fédération centrale ; mais en s’arrêtant à cette manière purement anglo-américaine d’envisager les choses, les politiques yankees ne verront jamais que les intérêts particuliers de leur pays dans les affaires des autres états du continent, et par suite ils prendront fort peu de souci des événemens qui se passent dans les républiques éloignées, sans relations nombreuses avec l’Amérique du Nord. En effet, le cabinet de Washington, si chatouilleux quand il s’agissait du Mexique, a pris une attitude à peu près indifférente à l’égard du Paraguay et du Chili.

Cette politique de non-intervention absolue, que d’ailleurs il ne s’agit pas de juger ici, laisse donc les nations hispano-américaines dégagées des liens de la reconnaissance envers les États-Unis et par conséquent tout à fait maîtresses de leurs destinées. Elles n’ont qu’à suivre leur voie et à chercher leur idéal, sans trop s’inquiéter de savoir si elles contribuent par leurs progrès à la consolidation de la grande république du nord. C’est en elles-mêmes qu’elles trouveront les élémens nécessaires pour le développement de leur puissance et de leur prospérité. Déjà plusieurs d’entre elles, même isolées, font une assez respectable figure dans le monde, et, toute proportion gardée, elles n’ont guère progressé moins rapidement que les États-Unis. Depuis 1810, époque à laquelle les colonies commencèrent à secouer le joug de l’Espagne, la population totale s’est beaucoup plus que doublée, puisque l’accroissement probable a porté le nombre des habitans de 11 à 26 millions, et cependant les immigrans d’Europe ont été relativement bien peu nombreux. Le commerce extérieur de l’Amérique du Sud, nul pour ainsi dire au lendemain de la guerre de l’indépendance, est actuellement de près d’un milliard, et dans certaines républiques il dépasse même par tête de citoyen le commerce extérieur des États-Unis et celui de la France. De nouvelles cités ont été fondées, de grandes routes ont été ouvertes, les locomotives font leur apparition dans les pampas, les forêts vierges et les vallées des Andes. A l’exception de la Bolivie, de l’Equateur et des petits états de l’Amérique centrale, il n’est pas un seul pays espagnol qui n’ait déjà son commencement de réseau ferré.

Quant aux progrès intellectuels et moraux de ces jeunes états, ils ne sont pas moins incontestables que les progrès matériels. Bien qu’on affecte souvent de parler avec une sorte de commisération des jeunes républiques hispano-américaines et de voir en elles des sociétés condamnées à retomber dans la barbarie, il n’en est pas moins vrai que l’instruction se répand de jour en jour dans les populations de cette partie du Nouveau-Monde. Les journaux,