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révélées par l’un des signataires et communiquées officiellement aux chambres anglaises. Les Paraguayens savent qu’en vertu de ces clauses ils sont destinés à perdre les deux tiers de leur territoire, à recevoir des mains du général Mitre et du plénipotentiaire brésilien un gouvernement tout fait, à subir enfin les ignominies et les horreurs du pillage. Qui leur dit qu’eux-mêmes ne seront pas compris dans les articles du butin, comme l’ont été un grand nombre de leurs frères faits prisonniers à l’Uruguayana, et forcés de servir soit comme esclaves dans les plantations, soit comme soldats dans l’armée du Brésil ?

L’épuisement des alliés est évident. La Bande-Orientale n’envoie plus de soldats, les provinces intérieures de la république argentine se refusent à prendre la moindre part à la guerre, la ville de Buenos-Ayres, qui a perdu des milliers de ses enfans, demande la paix à grands cris et s’indigne qu’on laisse ses campagnes exposées aux incursions des Indiens tandis que la garde civile va guerroyer contre un peuple frère[1], enfin le Brésil lui-même en vient à douter du succès final en voyant que les hommes et l’argent commencent à lui manquer. Le recrutement de prétendus volontaires, qu’on amène parfois au camp en jaquettes de force, ne suffit plus à remplir les cadres d’une armée qui devrait être d’au moins 50,000 hommes, les mulâtres libres qu’on veut enrôler résistent en beaucoup d’endroits avec succès, et l’on parle déjà d’une ressource désespérée, l’armement des esclaves. Le crédit financier de l’empire est singulièrement ébranlé par toutes les crises politiques et commerciales qu’il a subies. En 1864, avant que la guerre n’eût éclaté, le gouvernement brésilien devait soit aux prêteurs étrangers, soit à ses nationaux, plus de 625 millions de francs, et, dès que la lutte eut commencé, cette dette, déjà si lourde pour un état faiblement peuplé, s’est augmentée avec une rapidité effrayante. Les capitalistes anglais, dont il fallut implorer l’aide au commencement de l’année 1865, n’ont voulu prêter que la somme de 91 millions de francs pour une reconnaissance de 125 millions. Si le cabinet de Saint-Christophe se hasardait maintenant à un nouvel appel aux capitaux de l’Europe, on lui poserait des conditions bien autrement dures, car depuis l’entrée des Brésiliens dans Montevideo c’est par centaines de millions qu’il faut évaluer le déficit causé par l’achat des navires cuirassés et des canons, l’entretien d’une grande armée, les subventions de guerre accordées aux alliés faméliques de la Plata et les malversations des fournisseurs et des intermédiaires de toute sorte. Déjà la banque du Brésil, dont le papier se dépréciait

  1. Le manque de soldats est tel que, d’après un discours prononcé par M. Frias en plein sénat de Buenos-Ayres, le gouvernement viderait maintenant les prisons pour envoyer les détenus à la bataille.