Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/964

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement. Les principes républicains ayant alors perdu le solide point d’appui que leur donnent les jeunes sociétés américaines, le maintien des institutions monarchiques dans le monde entier eût été dès lors à jamais assuré. Ce plan, que les assemblées politiques et les journaux discutaient avec la plus grande sincérité, comme s’il eût été vraiment combiné de toutes pièces, n’existait sans doute avec cette netteté que dans les imaginations ; mais il ne faut pas moins en tenir compte, car, sous les événemens qui se pressent, l’instinct populaire devine souvent mieux que les hommes d’état eux-mêmes le mobile secret qui les a fait agir, et révèle ainsi le vrai sens de l’histoire.

Lorsque le congrès américain se réunit à Lima le 14 novembre 1864, l’orage attendu venait d’éclater sur le Pérou. Un commissaire de la reine d’Espagne, prenant le même titre que les anciens gouverneurs castillans des colonies d’Amérique, avait déjà, au mépris de la souveraineté péruvienne, exigé réparation de griefs d’une valeur fort douteuse, et sans daigner déclarer la guerre, par simple mesure de « revendication, » l’amiral Pinzon s’était emparé des îles à guano, qui sont le véritable trésor de la république. Cependant le général Pezet, personnage timoré qui redoutait surtout de déplaire aux représentans des puissances européennes, ne semblait point avoir ressenti l’outrage fait à la nation ; il traitait secrètement avec le commissaire espagnol, et la chambre elle-même reculait devant une déclaration de guerre. Lorsque, poussés à bout par les exigences de l’Espagne, les députés se furent enfin décidés, et qu’à la presque unanimité ils eurent résolu d’opposer la force à la force, le congrès américain, où se trouvaient représentées toutes les républiques intéressées, à l’exception de celles de la Plata et du Mexique, n’eut pas le courage de participer par son attitude à la résolution des Péruviens ; il intervint auprès du gouvernement de Lima pour lui conseiller la prudence, lui fit rapporter la déclaration de guerre, et tenta par des offres directes, mais inutiles, de servir de médiateur entre le Pérou et l’amiral espagnol. Ainsi que les événemens l’ont prouvé plus tard, cette prudence apparente n’était que pusillanimité : si le Pérou avait osé maintenir sa déclaration d’hostilités au risque de voir son commerce interrompu et de perdre sa flottille, le président n’aurait point eu l’humiliation de signer un indigne traité, et la guerre civile eût été évitée. Le congrès ne pouvait donc se vanter d’avoir sauvegardé l’honneur du pays, et ses travaux devaient par conséquent rester frappés de stérilité ; cependant c’est déjà une chose des plus importantes et sans précédent qu’une assemblée composée des plénipotentiaires de la plupart des républiques ait pris une part directe au gouvernement de l’une d’entre elles et tenté de représenter en face de l’étranger