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les respecte. Représentez-vous ce qu’un Goethe, un Schiller, un Louis Uhland auraient ressenti en face de ces changemens si graves, faites en sorte de ressentir vous-mêmes les délicatesses et les scrupules qui se seraient mêlés à leurs émotions patriotiques. Des voix, non pas hostiles, mais inquiètes, s’élèvent de bien des points ; il faut savoir les entendre. On dit que Gœttingue s’alarme, Gœttingue, le royaume des grands philologues, des historiens austères, des théologiens hardis et conservateurs tout ensemble ; Tubingue éprouverait peut-être à l’occasion des sentimens du même ordre. Ce sont des avertissemens qu’il n’est pas permis de négliger. Gœttingue, Tubingue, comme ces deux noms indiquent bien les ressources multiples de la science germanique ! Voilà deux grandes et fécondes écoles, l’une au nord, l’autre au midi, que la théologie a illustrées, et la plus audacieuse n’est pas l’école du nord. Donc, au midi comme au nord, prenez garde de ne rien amoindrir ; prenez garde enfin que, dans cette initiation à une existence nouvelle, l’ancien idéalisme national ne subisse aucune atteinte. Il y a un siècle, au moment où une vive ardeur de réformes, où maintes préoccupations, maintes études politiques et sociales étaient en train de modifier notre esprit public, Montesquieu s’inquiétait pour le caractère charmant de la société française, et demandait qu’il nous fût toujours accordé de faire gaîment et légèrement les choses sérieuses. Un Montesquieu allemand pourrait dire aujourd’hui : S’il y a au monde un peuple qui ait représenté plus particulièrement que les autres, non pas certes le mysticisme énervant, mais le spiritualisme désintéressé, le goût et la recherche de l’idéal, s’il est un peuple qui ait aimé entre tous la vie intime de l’âme, la vie chrétienne et philosophique, et qui ait porté cette disposition dans les sciences les plus sévères, ne l’empêchez jamais de faire poétiquement et idéalement les choses viriles.

Enfin, pour terminer par des vœux qui nous touchent de plus près encore, n’avons-nous pas le droit de demander que l’Allemagne future renonce une fois pour toutes à ses rancunes surannées ? La Prusse étant l’avant-garde de l’Allemagne d’autrefois, c’était chez elle que les colères patriotiques avaient été plus violentes, les ressentimens plus implacables. La sainte-alliance des peuples réclamée par le poète n’avait jamais eu de racines sur la terre prussienne ; au moindre mouvement de la France, les vieilles, il aines se réveillaient. Nous avions oublié Blücher ; nos voisins ne pouvaient consentir à oublier Auerstaedt et Iéna. Que de malentendus entre ces deux peuples si bien faits pour se compléter l’un l’autre ! Je ne parle pas de ces provocations risibles qui ne méritent pas de réponse : chaque peuple a ses fanfaronnades, et nous ne voudrions pas nous-mêmes être jugés par les Prussiens sur des propos de