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d’Allemagne, la Prusse pendant plus d’un siècle a été une minorité énergique ; de là le sentiment si fier qu’elle a eu de sa valeur. Sa conscience lui disait qu’elle avait dans les mains l’avenir de la patrie allemande ; ses écrivains, ses hommes d’état le lui répétaient tout haut, et l’Allemagne, on l’a vu, a fini par mêler sa voix à ce concert. Au milieu des dangers qui la menaçaient, des humiliations qu’elle a subies, comment s’étonner qu’elle veillât sur ce dépôt de l’avenir avec un stoïcisme altier ? Ce n’était pas là seulement le signe distinctif de l’armée ou de l’administration, toute la nation était marquée à la même effigie. La science, la philosophie, la critique, la littérature prussienne tout entière manifestait ce double symptôme : une grande confiance en soi, un grand dédain d’autrui. Tout cela sentait la guerre ; la Prusse, au milieu des travaux de la paix, avait l’air d’un vaste camp hérissé de toutes parts. C’est de haut et par l’ascendant moral qu’elle prétendait dominer les autres familles allemandes, non pas de plain-pied, par la grâce et l’attrait. S’attachant aux plus viriles qualités du génie germanique, elle les raidissait, si je puis ainsi parler, elle les poussait à bout, au risque de les dénaturer. Rare exemple de constance et de foi ! grande expédition puritaine continuée de génération en génération même sous les plus mauvais gouvernemens, et que vient de couronner la victoire ! On peut ne pas éprouver de sympathies pour des vertus si farouches ; nulle âme droite ne saurait leur refuser son respect.

Il faut pourtant que tout cela change. En récompensant la vieille. Prusse, la victoire de Kœniggrætz doit la faire disparaître. Une Prusse nouvelle commence, qui, élevant le niveau moral et politique de l’Allemagne, viendra s’unir avec elle sur un terrain plus large. On ne cède pas à une vaine espérance en prévoyant ce résultat ; la transformation du caractère prussien se fera naturellement. La Prusse y travaillera, car c’est son devoir, et si elle n’y travaillait point, elle serait bientôt avertie par les difficultés les plus graves. Il n’y a pas de meilleur maître que la nécessité. Quand la nature des choses ordonne la marche à suivre, instinctivement ou de parti-pris force est bien d’obéir. Sans parler de l’accroissement des populations catholiques produit par l’annexion du Hanovre, combien d’élémens divers parmi les protestans de Nassau, de la Hesse-Électorale, de Hesse-Darmstadt ! Combien de variétés d’esprit et d’inspiration dans ce noble royaume de Saxe qui va faire partie de la confédération du nord ! Combien d’écoles généreuses et vivaces dans ces états du sud et de l’est qui peuvent s’unir avec elle ! Quelques jours avant la bataille du 3 juillet, un Prussien du duché de Nassau écrivait au Messager de la frontière : « Pour un Allemand du nord, les réunions populaires qui surgissent dans l’Allemagne du sud sont vraiment une énigme. Il ne comprend pas qu’on puisse