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étaient considérées chez nous comme le type des révolutions. Les dix dernières années nous ont appris que les grandes transformations sociales des peuples civilisés s’accomplissent régulièrement par d’autres moyens, je veux dire par les forces militaires organisées. Le royaume d’Italie a été fondé par les armées de la France et du Piémont, et l’audacieuse expédition de Garibaldi contre le sud n’eût été qu’une aventure, si derrière ses hardis corps francs, comme un phare et un appui, ne s’était levée la force organisée de l’état piémontais. Même dans l’Amérique du Nord, où la liberté individuelle semble tout, où l’état ne semble rien, c’est une guerre régulière, c’est une puissance politique ramassant énergiquement ses forces qui a établi le nouvel édifice de l’Union. » Cette vue n’est pas sans justesse, et la philosophie de l’histoire peut la confirmer ; il y a toutefois, pour le dire en passant, une autre différence encore entre la révolution de France et les révolutions dont nous sommes témoins aujourd’hui : c’est que la France de 89 travaillait pour l’humanité, et que l’horrible grandeur de ses convulsions répondait à l’immensité de son entreprise. La révolution allemande est plus modeste ; elle accomplit une œuvre plus circonscrite, il lui suffit de réaliser chez elle ce droit nouveau que la France a donné au monde au prix de tant de sacrifices. Raison de plus assurément pour que la révolution allemande n’imite aucune des mesures violentes condamnées par l’histoire. De quelque côté que je la considère, je ne vois pour elle que la stricte obligation de respecter le droit moderne ; ses injustices seraient sans excuse.

Que la Prusse rentre donc au plus tôt dans la justice et la vérité ; qu’elle mette ses actions d’accord avec la mission qu’elle invoque. Si la France obéissait à de misérables pensées de haine contre la nouvelle Allemagne, nous ne pourrions que nous réjouir du tour donné aux événemens par les annexions prussiennes ; n’est-ce pas la Prusse elle-même qui par de tels procédés semble douter de son droit ? n’est-ce pas elle qui entretient la résistance chez les populations subjuguées par la force, et fournit des argumens à ses adversaires du dehors ? Nos conseils attestent notre désintéressement. Nous sommes persuadés qu’en soumettant aux suffrages des peuples la question de l’unité allemande par la Prusse, le cabinet de Berlin eût ennobli son triomphe. Toutes les difficultés dont on a eu peur, prétentions féodales, intrigues ultramontaines, inertie des petits états, somnolence de l’esprit public entretenue depuis si longtemps par les seigneurs, se seraient évanouies dans les acclamations générales. Les mauvaises passions, soit qu’elles se fussent produites, soit qu’elles eussent redouté le grand jour, eussent été moins dangereuses que dans les ténèbres où elles s’agitent ; les bons sentimens, engourdis par l’ancien régime, se seraient réveillés au soleil