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de Kœniggrætz la violation du juste, c’est là un symptôme plus grave. Voilà pourquoi je rappelle à ce parti les paroles de l’un de ses publicistes. M. de Treitschke a raison ; il n’y a pas de puissance humaine qui n’ait ses devoirs à remplir. La victoire, surtout une victoire comme celle de la Prusse, ne donne pas des dispenses, elle impose des obligations plus étroites.

Quels sont donc les devoirs de la Prusse ? Le premier de tous, c’est le respect du droit, du droit qui fait sa force, du droit que nous exposions tout à l’heure, et sans lequel les événemens de ces derniers mois révolteraient les consciences. Ce droit nouveau, c’est celui que chaque nation possède de se constituer intérieurement suivant son génie et ses intérêts, sans que nulle autre puissance ait la prétention d’y mettre obstacle. La Prusse, en imposant par les armes ce qu’elle eût obtenu du libre consentement des peuples germaniques, obscurcit une situation déjà fort compliquée par elle-même, et qu’il fallait éclaircir au plus tôt. D’où vient que les succès de la Prusse ont excité une répulsion si vive, je ne dis pas en France seulement, mais dans une grande partie de l’Europe ? C’est que les procédés d’où est sortie la rupture de l’ancienne confédération ont caché à bien des yeux la mission, nationale et libérale de la Prusse. Qu’importe que cette mission soit inscrite dans l’histoire depuis plus d’un siècle, qu’elle ait éclaté particulièrement depuis 1840 dans tous les grands mouvemens de l’opinion allemande ? Est-ce que l’opinion européenne connaissait tous ces détails ? Est-ce que le tableau des vingt-six dernières années, avec ses complications, ses contradictions, pouvait faire deviner aux étrangers ce qui paraît tout naturel aux Allemands ? Est-ce qu’il ne fallait pas une attention opiniâtre pour démêler la vérité dans ce fouillis de notes et de contre-notes ? L’intérêt le plus urgent de la Prusse après la victoire de Kœniggrætz était donc de manifester son droit en demandant l’approbation de l’Allemagne nouvelle. Après tout ce qui s’était passé à la veille de la guerre, cette victoire des idées n’était pas moins nécessaire que la victoire des armes ; car enfin, si l’ancien principe d’intervention est condamné par l’esprit moderne, il y a une sorte d’intervention que rien ne peut abolir : c’est l’intervention morale, c’est le jugement de l’Europe sur les membres de la communauté européenne, et à ce point de vue M. Virchow était bien inspiré lorsqu’il disait à la chambre des députés de Berlin, le 7 septembre dernier, que le procédé des annexions prussiennes entachait l’honneur allemand.

« Nous prenons ! » dit le vainqueur ; nous ne demandons pas aux enfans du Hanovre, de Nassau, de la Hesse, de consacrer par leurs votés le premier triomphe de l’unité allemande ; nous les confisquons, quia nominor leo. Nous prenons d’autorité les suffrages des