Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son sentiment national, si fort dès le moyen âge ; la Prusse agit au nom des vœux de l’Allemagne. On nous arrête ici, on ne veut pas que nous comparions au merveilleux génie de la France et à ses agrandissemens successifs la politique d’une monarchie militaire, qui, la dernière venue parmi les états germaniques, a l’air de conquérir l’Allemagne plutôt que de travailler à l’organisation de la patrie. Je réponds que l’Allemagne a le droit de choisir qui elle veut pour réaliser son désir d’unité, et que, si son choix est périlleux pour elle ou lui coûte quelques sacrifices, c’est chose qui la regarde. Ce principe posé, le choix pouvait-il être douteux ? n’était-il pas commandé par l’histoire ? Ne fallait-il point que l’Allemagne s’adressât au pays qui a toujours représenté depuis un siècle les plus virils élémens du génie germanique, science, philosophie, travail de la pensée, et qui en même temps possédait la force nécessaire pour soutenir la cause commune ? Certes nous aurions mieux aimé que l’unité allemande se fit par la libre volonté de tous les peuples intéressés, ou du moins par l’Allemagne du centre et de l’ouest, par ces contrées moralement si riches, Saxe, Bavière, Wurtemberg, d’où sont sortis les grands théologiens, les grands poètes, les grands philosophes, premiers fondateurs de la communauté nationale. La destinée ne l’a pas voulu. L’histoire a décidé que chaque partie de la famille germanique contribuerait à l’œuvre générale ; l’Allemagne du centre et du sud-est, pendant une suite de siècles, a fourni les élémens de la pensée, l’Allemagne du nord depuis cent ans a donné l’énergie morale et l’organisation politique. Qu’importent donc les regrets en face de la nécessité ? Dans la situation présente, l’unité que l’Allemagne appelle ne pouvait se réaliser que de trois manières, par la révolution, par l’Autriche, par la Prusse. La révolution, c’eût été peut-être le chaos ; l’Autriche, c’était la sainte-alliance ; la Prusse, quoi qu’on puisse dire et quoi que les hommes d’état prussiens essaient de faire pour échapper à cette loi, c’est le droit nouveau issu de la France nouvelle.

Prenez garde, nous dit-on encore, cette nécessité dont vous parlez n’est point reconnue par tous, et on nous oppose les résistances du Hanovre, de la Saxe, de la Hesse elle-même, ces résistances que les vainqueurs ne dissimulent pas, qu’ils avouent dans leurs discours officiels, et qu’à défaut de cet aveu ils proclameraient par leurs actes, puisqu’ils prennent au nom du droit divin de la guerre, comme eussent fait des soldats de la sainte-alliance, ce qu’ils n’osent demander à la volonté des peuples. A cela je n’ai rien à répondre, sinon qu’après avoir exposé le droit de la Prusse, il est temps d’indiquer les obligations que ce droit même lui impose.