Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liberté de la presse, la publicité des tribunaux, pour que toutes ces choses, depuis si longtemps espérées, aient une valeur réelle, il faut, c’est la ferme pensée de l’Allemagne, il faut que ce soit la Prusse elle-même qui les accorde… Quant à ce besoin d’unité, marque certaine de la maturité des peuples, faut-il croire qu’il mettra un jour entre les mains de la Prusse le gouvernement politique, comme il lui a donné déjà le gouvernement intellectuel ? Telle est, je le sais bien, la secrète ambition de l’Allemagne du nord ; mais cela ne saurait arriver sans une révolution immense, et qu’il est impossible de prévoir. Toutefois ce gouvernement des esprits conduit certainement à l’autre, et à moins que l’Autriche et la Bavière ne lui enlèvent cette supériorité, il est manifeste que la Prusse peut attendre les événemens avec confiance, car, si l’antique unité du moyen âge allemand devait se reconstituer, si le trône de Barberousse, brisé par la réforme, devait se relever tôt ou tard, celui-là n’y aurait-il pas des droits qui se serait chargé des destinées de la pensée ? Ne serait-il pas nécessaire enfin que, parmi les successeurs de l’empire, le sceptre appartînt au plus digne ?… » Le mouvement d’idées dont je résumais ainsi le tableau est le véritable point de départ de la situation présente. C’est en 1840, c’est à l’avènement de Frédéric-Guillaume IV qu’imposant un moment au nouveau roi les hautes ambitions qu’elle n’avait jamais abjurées la nation de Frédéric II ressaisit, après une longue éclipse, la conscience de sa force et de sa destinée.

L’année 1815, si désastreuse pour nous, n’avait guère été moins funeste pour les nations germaniques. C’était l’esprit de la sainte-alliance qui avait présidé à l’établissement de la confédération. La France était vaincue ; avec elle étaient écartées pour longtemps toutes les idées de progrès. Aussi, une fois l’orgueil national apaisé, une fois les mauvaises rancunes satisfaites, un immense malaise ne tarda point à peser sur la conscience de l’Allemagne. Où étaient les promesses de 1813 ? En vain le poète Uhland évoquait-il en face des souverains les morts de Dresde et de Leipzig réclamant l’exécution de tant de solennelles paroles ; on étouffait ce loyal appel comme une clameur séditieuse. La chancellerie autrichienne inspirait ou imposait à tous les gouvernemens germaniques la même ingratitude envers leurs peuples. Des esprits pénétrans et dégagés des haines de race purent comprendre alors quelle pensée profonde avait conçue l’empereur Napoléon, lorsqu’il s’était efforcé d’attirer la Prusse dans l’orbite de la France. Cette Prusse que le vainqueur d’Iéna avait combattue malgré lui, cette Prusse dont il avait voulu réveiller les traditions, cette Prusse, fille du XVIIIe siècle, parvenue glorieuse au milieu du vieux monde, et si naturellement appelée à