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service dans le sens le plus pratique, et le décret du 10 janvier 1863 organisait le système financier sur des bases nouvelles, différentes de celles de nos autres possessions d’outre-mer, de manière à stimuler énergiquement les efforts de la nouvelle colonie.

Ces progrès ne s’accomplissaient pas sans peine, et les épreuves que la Cochinchine eut à traverser, pour être d’un autre ordre que celles des Antilles et du Canada aux siècles passés, n’en furent pas moins pénibles, et même parfois de nature à inspirer des doutes sur le succès définitif de l’œuvre. Les deux années 1863 et 1864 furent surtout marquées à ce cachet. On n’était plus soutenu par l’ardeur d’une lutte dans laquelle la France au moins payait d’un peu de gloire les enfans perdus qui combattaient au loin pour elle, et en même temps on hésitait à entrer franchement dans la phase pacifique et créatrice qui eût dû suivre la conquête. Ce n’était pas que l’on reculât devant l’étendue de la tâche, mais on attendait en vain de la mère-patrie le mot d’ordre sympathique qui devait donner le signal de l’action. L’opinion en effet, par un de ces reviremens qui lui sont familiers, était du jour au lendemain, et sans raison apparente, devenue presque hostile à notre établissement. Les financiers surtout le battaient en brèche de toute leur éloquence, de sorte qu’on voyait le but sans pouvoir y marcher, tant l’avenir offrait peu de garanties à une entreprise transformée pour ainsi dire en bouc émissaire de nos expéditions lointaines. Avec quelle anxiété le petit noyau de Français groupés à Saïgon n’attendait-il pas de courrier en courrier une solution que chacun ne pouvait s’empêcher de redouter instinctivement ! Le moment le plus critique fut lorsqu’en juin 1864 une mission fut envoyée de France à Hué pour y négocier les bases d’une occupation restreinte. Tout semblait perdu. Non-seulement nul commerce sérieux n’eût été possible dans de semblables conditions ; mais, loin de réduire nos dépenses, nous les eussions accrues, car la ligne compliquée qui eût relié les postes conservés eût été bien plus coûteuse à surveiller et à défendre que la frontière simple, rationnelle et géographique qui nous limite aujourd’hui vers le nord. En un mot, nous eussions commis l’étrange contre-sens d’étendre nos frontières en restreignant notre occupation. Par quel aveuglement providentiel les négociateurs annamites, au lieu d’accepter sur l’heure les conditions inespérées qui leur étaient ainsi offertes, demandèrent-ils des changemens assez graves pour qu’il en pût résulter un refus de ratification à Paris ? En échange des trois provinces dont nous rendions l’administration au gouvernement de Hué, nous prétendions exercer sur toute la Basse-Cochinchine un protectorat affirmé dans le traité par un tribut perpétuel, mais léger, de 2 millions par