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également rien de mieux à faire que de conserver les divisions territoriales établies avant nous, lesquelles, par une heureuse coïncidence, reproduisaient à peu de chose près la même échelle administrative qu’en France, c’est-à-dire d’abord le canton formé d’un certain nombre de communes, puis la sous-préfecture (huyên), formée de deux cantons au moins, et la préfecture (phu), comprenant deux ou trois huyêns ; comme en France encore, le huyên où se trouve le chef-lieu est administré par le préfet lui-même, sans sous-préfet. Enfin la réunion des préfectures constituait la province, régie par un gouverneur, quan-tong-doc, entouré de tous les fonctionnaires de l’administration centrale. Les deux principaux de ces derniers étaient le quan-bô, ayant pour attributions les services ressortissant des ministères des finances, des travaux publics, de l’intérieur, du commerce et des cultes, et le quan-an, chargé des services judiciaires. A la condition de conserver avec soin l’organisation communale, il devait suffire d’un petit nombre d’Européens pour nous substituer avantageusement à l’administration centrale, et pour assurer l’exécution de nos ordres par l’intermédiaire des maires et des chefs de canton.

L’un des obstacles qui s’opposèrent d’abord le plus à nos progrès ; et qui s’y opposent même encore aujourd’hui, quoique dans une mesure moindre, fut l’ignorance où nous étions de la langue du pays. C’était comme une muraille de la Chine qui nous eût isolés au sein de notre conquête. L’ennemi en profitait pour entretenir impunément ses agens sur des points occupés par nous, et l’un d’eux put ainsi vivre à notre insu plus d’un an à quelques lieues de Saigon, dans un village où il levait tranquillement l’impôt au nom de Tu-Duc ; il fut à la fin livré par les habitans eux-mêmes, las de payer des deux côtés. Rien de moins compliqué cependant que la grammaire annamite, mais la mise en œuvre exigeait une gymnastique d’accentuation de nature à décourager bien des débutans, car la connaissance de cette langue, toute monosyllabique, repose principalement sur l’étude aride d’une série d’inflexions phonétiques variées et nuancées à l’infini. J’ouvre un dictionnaire au hasard, et j’y tombe sur le mot mong, Modifié par l’addition de certains monosyllabes, ce mot a sept significations. Écrit ainsi, — mong, il sera prononcé différemment, et aura quatre autres significations, toujours avec les modifications particulaires. Móng en a cinq autres, mòng cinq, mông sept, .mông huit, etc., soit en somme, pour cette combinaison de quatre lettres, onze prononciations différentes, donnant lieu par l’addition d’autres particules à un total de cinquante-neuf significations ! Cet exemple n’est nullement un cas particulier. Il y avait là de quoi effaroucher les patiences les plus déterminées. C’avait été