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dont l’évêque fut le soutien et l’ami à toutes les phases de la plus aventureuse carrière, ce splendide mausolée a été préservé par la mémoire qu’il consacrait, et cela même au plus fort de nos guerres contre Tu-Duk. Il est souvent aujourd’hui le but du pieux pèlerinage des Français de Saïgon, et je ne crois pas qu’aucun d’eux puisse le voir sans se sentir pénétré de respect pour cette longue vie toute d’abnégation, où la pratique des vertus évangéliques n’amortit pas un instant l’indestructible et profond amour de la mère-patrie. Tels sont les caprices de la gloire que peut-être ne trouverait-on pas de nos jours cent personnes en France qui aient entendu prononcer le nom de cet homme de bien.

Les superstitions, avons-nous dit, forment une notable partie du bagage religieux des Annamites : elles consistent principalement dans la crainte des jours fastes et néfastes et dans l’observation des présages. Rencontre-t-on un homme en sortant de chez soi, le présage est heureux ; il est malheureux, si c’est une femme ; il l’est plus encore, si l’ombre de quelqu’un vient à passer sur vous, et le plus sage alors est de rentrer chez soi. Le cri de certains oiseaux sera un signe de mort. Les malédictions seront à redouter par dessus tout, de même que certaines périodes de temps, le cycle chinois de soixante ans par exemple, dont le commencement est aussi heureux que la fin doit être malheureuse. Il est même à remarquer que l’achèvement de notre conquête, en 1864, a coïncidé avec la fin de ce cycle, tandis que le commencement, en 1804, avait été marqué par le rétablissement définitif de l’autorité du roi Gia-Long. Les légendes abondent dans cette mythologie populaire, et elles offrent volontiers un charme mélancolique qui révèle une face imprévue du caractère annamite. En voici un échantillon où le traducteur, M. Aubaret, a reproduit heureusement le tour naïf de l’original. — Une jeune fille nommée Pham-Ti, âgée de seize ans, désirait se marier avec un jeune écolier qu’elle aimait, car elle ne voulait point se donner à lui autrement que dans le mariage. L’écolier, quoique très pauvre, osa néanmoins envoyer une personne auprès de la jeune fille pour la demander en mariage. La jeune fille accepta cette demande avec plaisir, mais elle mourut bientôt subitement ; ses parens, qui la chérissaient, ne pouvant se décider à enterrer son corps, firent construire derrière leur jardin une maison où ils déposèrent son cercueil. Le jeune écolier mourut bientôt également, et son corps fut placé à côté de celui de la jeune fille ; leurs deux âmes furent ainsi réunies eu ce lieu, habité par leurs ombres. Ces ombres rouge et verte apparaissaient pendant la nuit, tandis que durant le jour on pouvait les voir errer sous la forme de phénix. Cependant ces ombres n’étaient nuisibles à personne. Or les parens des deux fiancés étant morts dans la misère,