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peinture bariolée des hommes jouant les rôles de femmes, ou des armures grotesques des guerriers et des édifices compliqués qui leur servent de casques. Le maire ne tarda pas à nous prévenir que le chœur entonnait nos louanges : fiers d’un honneur si nouveau, nous lui jetons une marque de notre libéralité. Il renchérit ; nous lui jetons de plus belle, et sans l’interprète, qui mit un terme à notre munificence inexpérimentée, chacun de nous eût répété volontiers avec M. Jourdain : « S’ils vont jusqu’à l’altesse, ils auront toute la bourse. »

Mêlant dans leur indifférence les deux religions qui leur sont venues de l’Inde et de la Chine, les Annamites professent le culte des ancêtres avec toute la conscience que comportent les rites de Confucius ou de Lao-tseu, et c’est même à tort que j’ai prononcé à ce sujet le mot d’indifférence, car leur vénération ici est sincère : tout l’atteste, le soigneux entretien des sépultures, les sacrifices dont elles sont l’objet, le cérémonial des funérailles, les repas solennels offerts aux ancêtres aux fêtes des premiers jours de l’an, et jusqu’au luxe apporté à la fabrication des cercueils, dont le commerce alimente une industrie importante dans chaque centre de population. Tout village est doublé d’une plaine des tombeaux, vaste nécropole à l’effet étrange et saisissant, qui s’étend au loin dans la campagne, et l’humble tumulus du pauvre, en terre pétrie et séchée, y est l’objet du même respect que le monument d’architecture compliquée où reposent les restes du riche. Souvent ces derniers tombeaux sont à part près de la demeure de famille, au fond d’un jardin, sous un bosquet. Quelques-uns subsistèrent longtemps de la sorte à Saïgon, aux premières années de l’occupation, oubliés au coin d’une rue dans les progrès de la cité naissante. L’un des plus remarquables, à peu de distance de la ville, renfermait les cendres d’un mandarin très populaire au siècle dernier, l’eunuque Lê-Van-Duyêt ; il était si respecté qu’une profanation dont il fut l’objet de la part du roi Minh-Mang suffit à déterminer des troubles qui firent perdre momentanément à ce dernier les six provinces de la Basse-Cochinchine. Ce fut même à cette occasion qu’on rasa, sur son ordre, l’immense citadelle construite à Saïgon par notre compatriote le colonel Ollivier, et qu’on la remplaça par une autre plus petite dont s’empara l’amiral Rigault de Genouilly. Mais de tous les tombeaux du pays le plus digne de notre hommage est assurément celui de George Pigneau de Béhaine, évêque d’Adran. Nous dirons un autre jour ce que fut la vie de cet illustre fondateur de l’influence française en Cochinchine. Sa dernière demeure, dans une riante et fertile campagne près de Saïgon, se reconnaît moins à des armes épiscopales sculptées dans la pierre qu’à la vénération universelle de la population. Témoignage de la reconnaissance du roi Gia-Long,