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que les indigènes avaient élu domicile dans des huttes branlantes et mal assises sur de frêles pilotis ; ils étaient en petit nombre d’ailleurs, la plus grande partie de cette population habitant de préférence les villages environnans. La ville en un mot avait cessé d’être annamite sans être encore devenue française, les préoccupations de la guerre n’ayant pas permis d’y réaliser les améliorations projetées. Le passage récent du fléau avait de même laissé des traces dans la campagne de Saigon, et les souvenirs de la lutte s’y traduisaient sur plus d’un point en symptômes visibles de ruine ou d’abandon. Rien de plus riant cependant que cette campagne, rien de moins semblable au tableau monotone dont nous avons décrit l’aspect au-dessous de Saigon, et j’aimais à me rappeler comment elle avait jadis provoqué chez nos missionnaires un élan d’enthousiasme digne des bords du Lignon ou des bosquets de l’Arcadie. « On y admire, dit l’un d’eux, des plaines fort grasses, diversifiées par mille objets charmans, coupées par de petites rivières. Il y règne un printemps éternel ; on y voit des fleurs en tout temps, des bergers et des bergères en toute saison, qui jouissent des plaisirs de cette fertile campagne en enflant leurs chalumeaux champêtres à l’entour de leurs troupeaux. » Laissons les chalumeaux, et surtout ce printemps éternel dont s’accommoderaient mal les rizières qui font la richesse de la contrée : ce qui est certain, c’est qu’il suffit de quelques heures de promenade autour de Saigon pour emporter de la colonie l’impression la plus favorable. Cela était vrai même à l’époque dont nous parlons, alors que les plaies de la guerre n’avaient pas encore eu le temps de se refermer. Le village de Choquan par exemple, et le canton de Goviap, qui n’avaient pas cessé d’être cultivés, permettaient à cet égard de se prononcer en toute assurance ; c’était, avec plus de variété et non moins de richesse, une nature qui rappelait notre Normandie, de frais sentiers bordés de haies vives, de belles fermes entourées de jardins aux arbres séculaires ; demeures d’une population laborieuse et contente. On comprenait qu’une initiative intelligente manquait seule pour reconstituer sur d’autres points les villages détruits ou abandonnés, pour y ramener les habitans, et pour rendre au pays entier la féconde prospérité dont il porte encore l’empreinte.


II

Et d’abord quel était le caractère de la population à laquelle nous allions avoir affaire ? quelles sympathies pouvait-on rencontrer chez les indigènes, quelles barrières devaient nous séparer d’eux ? Profondément imbu du principe d’autorité, il était à supposer que l’Annamite accepterait notre domination du jour où il la croirait