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tentative avortée de vêpres siciliennes. Par un trait de mœurs qui caractérise bien la duplicité orientale, à la veille même du jour où devait éclater le mouvement, le 15 décembre, il avait fait remettre à l’amiral une lettre où, sous la forme la plus amicale, il lui détaillait les cérémonies qui devaient accompagner les ratifications du traité du 5 juin.

Cependant l’insurrection n’était pas terminée. Vaincue dans l’attaque générale du 18 décembre, elle s’était concentrée dans le cercle de Tan-hoa, dont le chef-lieu, Go-cong, avait l’insigne honneur de posséder les tombeaux de famille de la mère de Tu-Duk ; c’était presque une guerre sainte que de défendre ce sol sacré. Grâce à la nature marécageuse des lieux, grâce aussi aux habiles dispositions de leur chef Quan-Dinh, les rebelles avaient pu s’y retrancher d’une manière formidable ; mais bientôt quelques renforts venus des mers de Chine permirent au commandant en chef de marcher sur Go-cong, et de s’en emparer au mois de février 1863. La conquête du pays était enfin complète, et la pacification pouvait être considérée comme définitive. Quan-Dinh toutefois nous avait échappé. Pendant dix-huit mois encore cet infatigable partisan, que l’on pourrait appeler l’Abd-el-Kader de la Cochinchine, bien que sa carrière obscure ait été plus courte et moins glorieuse que celle de l’illustre émir, pendant dix-huit mois, dis-je, traqué de retraite en retraite dans les bois et les marais les plus inaccessibles, il réussit à déjouer nos poursuites avec une constance à laquelle il faut savoir rendre justice, même chez un ennemi. Il finit par être dénoncé par les Annamites eux-mêmes, et succomba au mois d’août 1864 dans une embuscade tendue par ses compatriotes sans l’intervention d’un seul de nos soldats. La vue de son corps, publiquement exposé à Go-cong, produisit sur la population un effet extraordinaire. Tu-Duk perdait en lui le dernier et le plus opiniâtre champion de sa cause.

En même temps qu’il réduisait l’insurrection à Go-cong, le gouverneur adressait aux nouveaux sujets de la France une proclamation destinée à les rassurer, et empreinte à dessein d’une couleur orientale qui devait frapper leur imagination. « Si par suite de la guerre, disait-il, et de l’obligation de faire respecter la nouvelle autorité établie en Cochinchine, les troupes françaises ont occupé les forteresses avec le terrain nécessaire à leurs besoins, toutes les propriétés en dehors de cette zone seront sacrées pour elles, et le gouvernement lui-même veillera à ce que les habitans ne soient ni inquiétés ni dépouillés. Que sont ces espaces dans l’immense Cochinchine ? C’est comme le banc sur lequel le pilote s’assoit pour diriger le navire, sans prendre la place de l’équipage ni de la cargaison qu’il est chargé de mener à bon port… La cession des