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Deux mois après, l’expédition de Mytho, habilement conduite par l’amiral Page, plaçait en notre pouvoir les bouches du Cambodge et la seconde ville de la Basse-Cochinchine. Dans le nord, le pays avait été occupé sans résistance jusqu’à Tay-ninh. La saison des pluies, qui règne d’avril en octobre et paralyse pendant six mois toutes les opérations militaires, vint mettre un temps d’arrêt à cette série de victoires. Il était réservé à l’amiral Bonard, successeur de l’amiral Charner, de la continuer par la prise de Bien-hoa au mois de décembre suivant ; ce fut là que les mandarins, fidèles à leurs traditions barbares, laissèrent périr dans les flammes des centaines d’Annamites chrétiens enchaînés au milieu de matières combustibles auxquelles ils firent mettre le feu en s’éloignant. Enfin en mars 1862 l’occupation de la citadelle de Vinh-long, sur la rive droite du Cambodge, acheva de nous rendre maîtres de tous les points principaux du pays. Tandis que nous marchions ainsi de triomphe en triomphe, une diversion inattendue dans le nord venait hâter la solution des événemens, et surmontait les dernières résistances de l’opiniâtre et malheureux Tu-Duk. Une grave insurrection en effet se déclarait au Tonkin vers le commencement de 1862. Dès le début, le prince Lé, prétendant au trône et descendant de l’ancienne famille royale d’Annam, réussissait à s’emparer de quatre provinces, et ses progrès étaient si rapides qu’il menaçait peu après Kecho, la capitale du pays. Tu-Duk n’avait personne a lui opposer ; toutes ses forces étaient employées de notre côté. De plus la récolte de riz venait de manquer et lui faisait sérieusement craindre une disette, fléau redoutable contre lequel il ne pouvait trouver de ressources que dans les fertiles rizières de la Basse-Cochinchine. L’impérieuse nécessité le réduisit donc à traiter, et dans les premiers jours de mai 1862 il s’adressait à cet effet au commandant du Forbin, alors en croisière sur la côte. Ce dernier transmit ces ouvertures à l’amiral Bonard, qui s’empressa d’y donner suite, et le 24 mai le Forbin remorquait en rivière jusqu’à Saïgon une grande jonque de guerre annamite, envoyée de Hué avec les plénipotentiaires Phan-Tan-Giang, ministre des rites, et Lam-Gien-Thiep, ministre de l’armée. Le 5 juin suivant était signé le traité qui règle encore aujourd’hui les conditions essentielles de notre établissement en Cochinchine ; c’était assurément le premier exemple d’une semblable célérité dans les fastes diplomatiques de l’extrême Orient. Par ce traité, les trois provinces de Gia-dinh ou de Saïgon, de Bien-hoa et de Mytho nous étaient données en toute souveraineté. Nulle portion du territoire annamite ne pouvait être cédée à une puissance étrangère sans notre consentement. Une indemnité de 20 millions de francs devait nous être payée en dix ans. Enfin la citadelle de Vinh-long