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brillante sur les sommets baignés de lumière, cette fraîche parure donne une grâce charmante à cette nature sauvage et tourmentée. Tout en bas, sur la plage, à l’embouchure des vallées, nous apercevons en miniature quelques maisons de campagne et quelques villages rustiques niches dans les forêts de cocotiers qui bordent la mer.

Cependant nous approchons de l’extrémité de l’île. Les montagnes se redressent encore et plongent presque tout droit dans la mer ; elles se terminent par un escarpement perpendiculaire que couronnent des forêts épaisses. Ici la mer, plus profonde et plus sombre, vient battre avec fracas le pied des précipices. Un gros rocher taillé en cube et d’une forme presque régulière se dresse tout seul assez loin de la côte, et oppose aux tempêtes ses quatre faces toujours ruisselantes d’écume. C’est l’îlot du Diamant, — diamant noir que font étinceler les panaches argentés des vagues, qui viennent dans les mauvais temps s’y briser avec fureur. — Nous commençons à sentir la houle, et nous nous enfuyons au nord, vers la pleine mer, les yeux attachés sur l’île déjà lointaine. A gauche, un vaste plateau cultivé s’allonge vers l’orient au-dessus d’une ligne de falaises escarpées d’où tombent de place en place des cascades blanches. Les montagnes baignées de soleil, éclatantes de verdure, s’amoncellent les unes sur les autres et s’élèvent pêle-mêle en forme de cône, comme une pyramide prodigieuse, toute hérissée de flèches, de coupoles, de bastions et d’aiguilles. Rien de plus fougueux et de plus étincelant dans le détail, rien de plus noble, de plus riant et de plus harmonieux dans l’ensemble. C’est comme un monument d’une architecture fantastique, pleine de caprices désordonnés et d’ornemens bizarres, mais d’un effet saisissant et sublime.

Je restai longtemps ébloui devant cette vision merveilleuse. J’aurais voulu qu’elle ne disparut jamais de l’horizon ; mais déjà elle s’éloigne, elle pâlit, elle n’est plus qu’une ombre vaporeuse et presque invisible qui s’abaisse rapidement dans la mer. Seule, une troupe de marsouins nous accompagne encore en sautant de vague en vague avec des bonds prodigieux. — Adieu donc à la plus belle des Antilles ! Nos regards et nos pensées, sont tournés du côté de la France.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.