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toutes les petites Antilles. Depuis la navigation à vapeur, ce rôle avantageux a passé à l’île de Saint-Thomas, et la Martinique est devenue à son tour tributaire de ceux qui autrefois lui payaient tribut.

L’ancien système colonial n’avait rien de particulièrement désavantageux pour la colonie ; les avantages étaient mutuels comme les inconvéniens. Il garantissait à la colonie le privilège du commerce français, comme à la métropole le privilège du commerce colonial. Ce système, à vrai dire, appauvrissait la France au profit des colonies, auxquelles il assurait un vaste marché et une consommation toujours supérieure à leurs produits.

Aujourd’hui le lien n’est plus réciproque. Tandis que nous nous sommes affranchis nous-mêmes des entraves de la protection, nous avons laissé nos colonies enchaînées. Nous avons ouvert nos frontières au commerce du monde entier ; mais les produits des colonies sont encore réservés pour le marché français, encombré déjà des produits étrangers et indigènes. En outre la mère-patrie essaie de se dédommager des grosses dépenses que lui coûtent ces tristes possessions en les taxant de la façon la plus désastreuse pour leur industrie. Un droit d’exportation de 5 pour 100 pèse sur le sucre envoyé en France ; il y a même des droits d’importation sur les produits français, tandis que ceux d’Angleterre et des États-Unis sont pour ainsi dire prohibés par un système de restrictions savantes. Le transport des produits coloniaux est donné aussi en monopole à la marine marchande française. Quand les navires américains ou anglais demandent 30 ou 40 francs pour le fret, il faut, m’assure-t-on, en payer 60 ou 70 à un navire français. Encore les occasions sont-elles fort rares, et quelquefois elles manquent absolument. Notre marine est si languissante et si inactive qu’elle ne suffit même plus au commerce restreint qu’on lui a réservé. Si le planteur ou le négociant aux abois s’adresse à un armateur étranger, il paie une surtaxe de 30 pour 100 qui rend ce transport aussi dispendieux pour le moins que celui par vaisseau français. S’il vend ses produits à un négociant étranger, à un Américain par exemple, il faut qu’il trouve un navire français pour les lui porter, ou bien, comme il n’en peut trouver, s’il emploie la marine américaine, il faut qu’il paie à la fois un droit d’exportation fort élevé sur la marchandise et une surtaxe sur le pavillon[1].

Voilà comment l’administration française, plus honnête que l’administration espagnole, a mis la Guadeloupe et la Martinique dans

  1. On sait que cette dernière charge vient de disparaître cette année par l’abolition générale de la surtaxe des pavillons étrangers.