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petit nombre d’hommes blancs de race pure, qui portent pour la plupart l’uniforme de la marine ou de l’armée. Les noirs sont habillés d’une chemise et d’un caleçon de toile, comme les lazzaroni napolitains. Leur propreté est remarquable pour le climat. Les femmes surtout se mettent avec un soin extrême et portent avec beaucoup d’élégance le simple et gracieux costume du pays. C’est une jupe courte d’indienne à fleurs et à ramages, qui tombe jusqu’au milieu de la jambe sur un jupon blanc, laissant voir la cheville nue et le pied chaussé d’une mule légère. Le buste est couvert seulement d’une chemise de toile fine aux manches larges et ouvertes au coude. Une écharpe brillante, jetée sur les épaules ou nouée en croix sur la poitrine, un mouchoir de foulard coquettement posé sur la tête au milieu d’un buisson de nattes noires et crépues, quelquefois un joli petit tablier de soie noire fixé à la ceinture avec des rubans jaunes ou roses, tel est ce costume original, mêlé de couleurs éclatantes, et dont la brillante simplicité convient mieux à ces peaux noires que tous les chiffons compliqués des modes européennes.

La population féminine semble fort nombreuse à Fort-de-France, et elle justifie la réputation de beauté des Martiniquaises. Les mulâtresses, qui sont les plus admirées, sont en général petites et bien prises, grasses et potelées. Elles ont, à mon avis, les plus beaux yeux du monde, de grands yeux noirs, sombres et veloutés, qui brillent comme des charbons ardens. Leur visage est rond et enfantin ; leur bouche souriante et sensuelle montre deux rangées de dents superbes. Leur seul défaut est de se faner trop vite et de prendre de bonne heure un embonpoint disgracieux. — Les négresses sont plus fortes et plus grandes : elles ont la poitrine charnue, les bras musculeux, la stature virile. Malgré leur peau noire et leurs figures un peu bestiales, il y en a qui sont superbes à voir dans le désordre de leur accoutrement sauvage et de leur demi-nudité. Du reste, les femmes de la Martinique passent pour avoir des mœurs aussi légères que leur costume et des passions aussi brûlantes que le soleil de leur climat. Bien qu’on voie le soir, en se promenant dans les rues, les familles assises à la porte de leurs masures, il paraît que l’institution du mariage n’y est pas très répandue. On la réserve pour les classes élevées, les blancs et les riches ; quant au peuple, il ne connaît, comme au temps de l’esclavage, que la complaisante loi de nature. Les efforts réunis de l’administration et du clergé ne peuvent changer ces habitudes primitives : quand deux nègres contractent une union régulière, elle n’en est pas pour cela plus solide, et les époux se quittent sans plus de scrupule que par le passé. Aussi les femmes de Fort-de-France