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sont encore une source de profits. Ce n’est jamais gratuitement que les saints font leurs miracles. Il y a tous les ans, le vendredi saint, dans la cathédrale de Mexico, une cérémonie solennelle qui attire un grand concours de fidèles. C’est l’exposition d’un grand Christ de cire tout déchiré de plaies que chacun vient baiser en déposant son offrande. Un prêtre se tient derrière la statue et souffle dans une trompe pour faire gémir Jésus-Christ. Le Seigneur pousse un gémissement à chaque piastre qu’on lui donne, et le nombre de ces plaintes divines augmente avec la somme donnée. Il y a aussi une bénédiction annuelle des images qui procure à l’archevêque un gros bénéfice. Chaque Mexicain a dans sa maison une image de saint ou de madone qui est proprement le saint ou la sainte de la maison, le dieu de la famille ou du foyer domestique ; mais ces merveilleuses images perdent leur vertu, si elle n’est de temps en temps renouvelée par l’église. On les apporte donc en multitude à la cathédrale, où elles sont déposées sur des tables et taxées chacune suivant sa taille : les plus petites ne paient qu’une piastre, les plus grosses paient beaucoup plus. L’évêque paraît, les bénit toutes ensemble, et d’un signe de croix ramasse tout l’argent étalé devant lui. Quand par hasard un dévot économe essaie de ruser avec l’église et de tromper le grand dieu au bénéfice du petit, on retient le pauvre petit dieu prisonnier, et le coupable doit payer une rançon pour obtenir sa délivrance.

Telle est la vraie dévotion à l’espagnole. Faut-il maintenant s’étonner qu’elle ne soit pas aussi vive à Cuba qu’au Mexique ? Tout diffère d’un pays à l’autre. Il y a d’abord la race blanche, propriétaire du sol, amollie par des jouissances faciles, et qui nulle part ne se fait remarquer par une grande ferveur religieuse. Au-dessous, nous trouvons deux races opprimées, la race indienne au Mexique, et à Cuba la race nègre. Combien elles se ressemblent peu, la race indienne soumise par la conquête, et maintenue sous le joug par un culte qui exploite le côté sombre et tragique de son caractère, — la race noire, gaie, légère et docile, sans besoins religieux profonds, maintenue par l’esclavage dans l’ignorance et l’abjection ! La religion, cultivée au Mexique comme un moyen de domination, devait être négligée aux Antilles comme une chose inutile ou dangereuse.

25 mars, en mer.

Enfin nous sommes partis. Réveillés hier matin par le canon de la citadelle, nous courûmes sur la terrasse, et nous vîmes le paquebot Impératrice-Eugénie s’avancer majestueusement avec un immense drapeau tricolore. A côté de ce géant, les autres vaisseaux