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en effet des montagnes d’origine volcanique ; leur configuration seule l’atteste. Des bigarrures noires, jaunes, violacées et rougeâtres se montrent dans les âpres déchirures et les entonnoirs effondrés des anciens cratères. Ces formes rudes, ces couleurs sombres, rendues encore plus brutales par la violence du soleil, tranchent puissamment sur le bleu du ciel et donnent à tout ce brillant paysage un relief énergique et sévère.

L’heure du dîner me ramène à la maison. L’hôtel Lassus, qui est le meilleur et le plus spacieux de la ville, n’a pourtant qu’un seul étage de plain-pied avec une galerie couverte qui donne sur la rue. Un grand vestibule fort biscornu sert à la fois d’office, de salle à manger, de salon et d’antichambre. Les chambres s’ouvrent de tous côtés sur cette unique salle : elles sont spacieuses, très mal closes et très délabrées malgré la toilette scrupuleuse qu’une négresse armée d’une éponge donne chaque matin au pavé de brique. Par derrière, une petite cour entourée d’appentis et de baraques irrégulières, contient la cuisine, un poulailler, quatre ou cinq perroquets sur leurs perchoirs et bon nombre de galetas habitables. Une couvée de petits enfans tout nus, à gros ventre, s’ébattent sous la surveillance de deux jeunes négresses fort élégantes. Ces jeunes filles ont, ne vous en déplaise, une beauté piquante et naïve que ne gâte en rien cette peau sombre, dont la couleur est si admirable au soleil des tropiques. L’une d’elles, toute jeune encore, mais déjà grande, forte et élancée, a dans sa démarche un air de bonne grâce et de noblesse que pourrait envier plus d’une belle dame. Sa robe d’indienne à fleurs se drape avec élégance autour de sa taille souple et bien prise ; ses pieds nus traînent des sandales légères qu’elle fait claquer en marchant. Ses traits sont fins et réguliers, ses yeux doux et pénétrans, sa bouche un peu grande, mais souriante et bien dessinée. Des anneaux d’or pendent à ses oreilles et encadrent l’ovale presque italien de sa jolie tête, qui se meut avec aisance sur une encolure délicate. Elle est charmante en dépit de sa peau noire, lorsqu’elle se cambra en portant dans ses bras le dernier-né de la maison, un petit blondin aux joues roses dont les petites mains caressantes s’enroulent autour de son cou d’ébène.

Tout le monde entre librement ; cette maison est vraiment publique, et nous vivons pour ainsi dire dans la rue. C’est tantôt l’officier espagnol, en uniforme de coutil rayé bleu et blanc, galonné d’or, qui vient, en retroussant sa moustache, fumer son cigare à l’ombre ; tantôt le commis-voyageur américain qui vous adresse sans façon la parole et se présente en vous offrant sa carte-prospectus ; tantôt une pauvre vieille négresse avec un petit panier de jonc, qui vend des cigarettes et qui demande l’aumône ; tantôt enfin